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Présentation de Murshida

Mémorial de Murshida Sharifa Goodenough
 Silsila Sufian
(1876-1937)

Elise Schamhart et Michel Guillaume


Texte en anglais

Pir-oMurshid Inayat Khan écrit dans son autobiographie (Partie II, 1914-1920) :

« J’ai trouvé à ce moment de commencements difficiles une mourîde, Miss Goodenough, qui fut comme la pierre de fondation pour la construction de l’Ordre. En Miss Goodenough, qui fut ensuite faite Khalifa, et fut promue ensuite Murshida, j’ai trouvé cet esprit du disciple qui est si peu connu du monde et qu’on trouve même rarement en Orient. En outre, j’ai trouvé en elle mon propre point de vue.

Miss Goodenough a prouvé dans sa carrière fermeté et sacrifice de soi. Bien que pour juger un cheval on donne toujours une grande importance à l’hérédité, pourtant on ne le fait pas pour l’homme. Bien qu’elle soit réservée, exclusive et lointaine par nature, et indépendante et indifférente en apparence, ce qui en a tourné plus d’un contre elle et causé bien des troubles, elle possède beaucoup des qualités de la perle cachées sous une coquille de dure apparence. Elle s’est montrée digne de confiance dans le travail de l’Ordre, et patiente dans les difficultés que nous avons eues sans cesse à rencontrer dans notre route. Elle exprima mes idées dans la série des livres intitulés : « La vie après la mort », « Le phénomène de l’âme » et « L’amour, humain et divin ». Mais, en dehors de cela, elle a rassemblé, préservé et produit les compte-rendus de mon enseignement oral et les a gardés intacts de toute corruption. Elle les a gardés pour les générations à venir dans leur forme la plus authentique, service que les adhérents sincères du Message tiendront en mémoire avec reconnaissance ».

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-  Mourîd (e) – disciple initié d’un maître Soufi.
-  Ordre Soufi : fondé par Pir-o-Murshid Inayat Khan, il est destiné à aider le disciple dans la voie intérieure grâce à un enseignement adapté et aux conseils d’une ou de plusieurs personne ayant une certaine expérience de cette voie.
-  Khalif (a) - Représente le maître de l’Ordre Soufi dans diverses fonctions.
-  Murshid (a) – Guide et conseiller spirituel sous l’autorité directe du Pir-o-Murshid. Hazrat Inayat avait nommé quatre Murshidas : Murshida Rabi’a MARTIN, qu’il avait nommée à la tête de sa mission aux Etats-Unis, Murshida Fazal Mai EGELING, qui avait particulièrement en charge sa Maison, Murshida Sharifa GOODENOUGH, spécialement chargée de recueillir et de préserver son enseignement, Murshida Sophia SAINTSBURY-GREEN, qui se consacra surtout à l’enseignement et à l’aspect religieux du Message de Pir-o-Murshid Inayat Khan.

 

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Deux témoignages

Elise Schamhart raconte :

« C’était un chaud après-midi d’été. Je m’étais assise dans le Jardin Soufi pour lire tranquillement. Les après-midi où il n’y avait pas de conférence ou de lecture, il n’y avait jamais personne. J’ai toujours trouvé un grand charme à ce jardin avec ses abricotiers qui laissaient tomber leurs fruits murs avec de petits bruits; ces fruits vous tombaient presque dans la bouche.

A un certain moment j’entendis le portillon donnant sur la rue de la Tuilerie s’ouvrir et je vis entrer une dame habillée de gris clair. Elle longeait le mur des Haras qui bordaient le jardin d’un côté, marchant lentement, très droite, la tête légèrement inclinée. Elle passa devant le pierre du Temple et obliqua ensuite vers la petite maison donnant sur la rue Victor Diederich, jouxtant le jardin : j’avais vu Murshida Goodenough. Encore aujourd’hui je revois ce film devant mes yeux avec une précision totale. J’avais alors douze ans. Je regardais de tous mes yeux avec une sorte d’émerveillement.

Rentrée à la maison, je déclarai à ma mère que je désirais être initiée. Ma mère n’entra pas du tout dans mes vues et m’expliqua avec sagesse que j’étais trop jeune pour prendre une telle décision, mais que je pourrais être adoptée dans l’Adoration Universelle

. Je décidai alors d’agir seule et le lendemain je m’adressai à Feizi, la secrétaire de Murshida Goodenough et lui demandai de m’arranger un rendez-vous. J’étais plutôt timide à cette époque, et cette démarche m’était plutôt pénible. Mais heureusement Feizi me prit gentiment au sérieux et vint me prévenir que Murshida Sharifa m’attendait le lendemain.

Le moment venu, j’étais encore affreusement gênée, craignant d’avoir fait une démarche bien téméraire ; mais Murshida me reçut avec l’exquise courtoisie qui lui était propre et qui me rassura.

Assise en face d’elle, je fus de nouveau entièrement prise par la beauté de ce visage un peu triangulaire, ces sourcils très arqués, ces yeux calmes et doux. Murshida me laissa la regarder en paix. Elle resta tranquillement assise, les mains sur les genoux. J’ignore combien de temps je la regardai, mais brusquement je me souvins des principes de bonne éducation que l’on m’avait inculqués, selon lesquels je ne devais pas regarder les gens fixement et j’eus très peur que Murshida puisse me juger impolie. Mais à ce moment Murshida se mit à parler. Elle parla lentement en français et je comprenais à peu près ce qu’elle disait. Elle me parla de Murshid qui aimait aller à Paris regarder les jets d’eau montant des fontaines. Puis je n’écoutai plus très bien, car il fallait que je sorte la petite phrase que j’avais soigneusement préparée : « Voulez-vous m’initier ?» Je la répétais mentalement sans oser la dire, brusquement consciente de l’énormité d’une telle demande. Finalement je la dis tout de même et Murshida répondit immédiatement en me touchant légèrement la main : « Oui, je veux ». Et le lendemain elle me donna l’initiation.

Depuis, j’ai toujours cherché à être près d’elle. Je venais tous les ans passer un mois à Suresnes et j’assistais à toutes ses conférences, bien que je n’eusse pas encore appris l’anglais à l’école. J’assistais aussi à ces petites réunions avec les mourîds français pour lesquels elle traduisait la conférence de Murshid qui avait été lue en anglais. Je n’y comprenais pas grand-chose non plus, mais je ne pouvais me lasser de la regarder et de m’émerveiller qu’un être pareil puisse exister. Murshida m’invita souvent chez elle. Je me rappelle que je l’ai aidée à cueillir des abricots dans son jardin et qu’elle me donna des pots de confiture faites par elle.

Plus tard, lorsque j’ai été plus âgée, je pouvais mieux lui parler. Nous parlions allemand, langue plus facile pour une Hollandaise, et je me rappelle qu’elle m’expliquait ce qu’est le souffle et me fit comprendre la différence entre le souffle et la respiration.

Elle parlait volontiers de Murshid, et à quel point le bien-être de ses mourîds lui tenait à cœur. Elle interdisait qu’on lui dise : « Je suis votre mourîd ». « On est toujours le mourîd de Murshid », disait-elle.

Je l’ai connue trop peu de temps et j’étais trop jeune pour lui poser toutes les questions qui me sont venues à l’esprit plus tard. Mais si j’ai fait une chose dans ma vie à laquelle je pense souvent avec bonheur et satisfaction, c’est de n’avoir jamais négligé une occasion d’être près d’elle.

Je l’ai vue pour la dernière fois sur cette terre assise sur la terrasse devant le pauvre appartement qu’elle occupait la dernière année de sa vie. Je repartais en Hollande le lendemain et je lui apportais des fleurs – des lys et des œillets blancs que j’avais longuement choisis. Je la trouvai en compagnie de Zeb-un-Nissa. Murshida m’embrassa et m’accompagna jusqu’à l’escalier qui était très raide. Arrivée en bas, je me retournai et vis pour la dernière fois son visage qui me souriait.

Plus tard, après son départ de la terre, j’ai rêvé que je marchais derrière elle dans un étroit sentier creux. J’étais toute heureuse de la suivre. Dans un tournant je la perdis de vue et je hâtai le pas pour passer le tournant à mon tour. Lorsque j’y arrivai, je ne vis plus loin devant moi que la silhouette de Murshid. Elle avait disparu.

Je me souviens de ce que m’a raconté autrefois Mme. van Wertheim (Nassiban était son nom soufi), qui, elle aussi, aimait beaucoup Murshida Sharifa. Pendant son dernier rendez-vous avec Murshida elle lui demanda un souvenir, quelque chose d’elle-même qui lui avait beaucoup servi et conservait ses « vibrations ». Je crois même qu’elle mentionna un vieux soulier ou un gant hors d’usage (Nassiban était de ces soufis qui aimaient beaucoup les « vibrations »). Murshida Sharifa écouta avec sérieux et lui promit qu’elle réfléchirait à ce qu’elle pourrait lui donner. Le lendemain, elle lui fit porter en effet un petit paquet dans lequel Nassiban trouva un portrait de Murshid.

 

-  Jardin Soufi – Ce jardin s’étendait en face de la maison du Maître et de sa famille, sur environ 75 mètres et montai en pente douce depuis la rue de la Tuilerie jusqu’à la rue Victor Diederich. Il était planté d’abricotiers. A droite en montant, il était séparé du groupe d’habitations dit « Les Haras » par un haut mur de briques tandis qu’à gauche se trouvait la maison où habitait Murshida Sharifa et où elle recevait ses visiteurs. Tout en haut du jardin il y avait le Hall avec ses baies vitrées, ou le Maître donnait ses conférences.

-  La pierre du Temple – En 1926, Pir-o-Murshid posa au milieu du Jardin Soufi une pierre qui devait servir de pierre de fondation pour un temple ou serait centralisé les activités du Message, en particulier les célébrations de l’Adoration Universelle (voir rubrique suivante). Ce Temple n’a jamais pu être édifié à cet endroit, ni sur les plans approuvés par Murshid.

-  Adoration Universelle – Fait partie des activités religieuses du Message. C’est une célébration publique au cours de laquelle sont honorées les six grande religions du monde : Hindoue, Bouddhique, Zoroastrienne, Judaïque, Chrétienne et Islamique, ainsi que « tous ceux qui, connus ou inconnus du monde, ont tenu haut le flambeau de la vérité au milieu de l’obscurité de l’ignorance humaine ». On y lit des textes de chacune de ces religions et du Gayan de Hazrat Inayat Khan. Cette célébration est consacrée à l’idée que toutes ces religions sont une dans leur essence.

-  Zeb-un-Nissa , Baronne Tanfani – Disciple de Pir-o-Murshid, poétesse, dont la personnalité colorée animait souvent les réunions soufies.

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Michel Guillaume raconte :

De toutes les rencontres qui furent déterminantes pour la direction que prit ma vie, nulle ne le fut davantage que celle de Murshida Sharifa.

Je devais avoir douze ans. De notre première entrevue, je garde seulement l’image d’une dame qui me parut plutôt grande et plutôt âgée, d’une dame à mèches grises coiffées en arrière (avec une certaine négligence, semblait-il pour la coquetterie). Cette dame se tenait fort droite, la tête seulement un peu penchée, et dans son maintien à la fois parfaitement simple et bienveillant, elle semblait aussi toute présence et attention au garçon embarrassé de lui-même qu’on lui présentait. Cependant quelque chose me frappa, que je n’avais jamais rencontré chez aucune personne adulte auparavant. Cette dame en effet ne ressemblait à aucune autre. Non pas physiquement; dans une assemblée, elle eut sans doute passé inaperçue. Mais l’impression qui me reste d’elle, était – comment dire ? – celle d’un être aérien, ou bien encore d’un être qui appartenait à un monde différent, à la fois « ici », et « ailleurs ».

Ces impressions, un enfant ne les analyse pas, ne se les explique pas. Il les absorbe à la manière d’une éponge; mais ces impressions restent vivantes et les années ne les altèrent ni ne les ternissent. Le Temps les lui restitue avec leur saveur et lui dévoile quelque peu de leur signification lorsque l’être a acquis l’intelligence et l’expérience nécessaires. A l’époque, je voyais bien que cette personne avait quelque chose de différent de toutes celles que j’avais pu approcher dans le Mouvement Soufi ou ailleurs; je ne pensais jamais à elle sans une sorte de bonheur diffus ni une espèce de vénération naturelle; cependant je n’y prenais garde qu’à peine; j’avais vu la lumière d’une âme hautement spirituelle et je n’en savais rien.

Quelques mois plus tard, ma mère m’amena, il faudrait plutôt dire me traîna, chez Murshida Sharifa. J’étais arrivé à un âge où l’on ne veut plus en faire qu’à sa tête. La suggestion d’aller voir Murshida Sharifa pour m’aider à surmonter mon caractère rêveur, trop timide, atteint d’inertie dûe à la croissance, et peu porté aux études scolaires me semblait une épreuve inquiétante. Nous y allâmes cependant et ma mère remorqua jusqu’à son rendez-vous un fils raidi d’appréhension et glacé de timidité.

Murshida nous accueillit au premier étage de la petite maison qu’elle habitait, nous fit asseoir et se tournant vers moi me demanda: « Pourquoi êtes-vous venu?». Je restai coi; j’avais espéré que ma mère parlerait pour moi. Et je ne pouvais pas avouer: « Je suis là pour faire plaisir à maman ». Ces choses-là ne se disent pas. Un silence s’ensuivit durant lequel je cherchai pour me tirer d’affaire une phrase qui ne venait pas. Le silence se prolongea. Mais, chose curieuse, ce n’était pas un de ces silences pénibles qui s’installent entre des gens qui ne trouvent rien à se dire; c’était une sorte de silence vivant; et puis, malgré mon trouble, je me rendais aussi compte d’autre chose: d’abord cette dame ne semblait pas connaître l’impatience; ensuite il m’était impossible de lui déguiser le moins du monde la vérité. Je trouvai enfin la bonne phrase: «Ma mère désire que je vienne vous voir parce que j’ai de la peine à me concentrer sur mon travail ». Murshida eut un hochement de tête approbateur et me donna quelques conseils - que j’oubliai d’ailleurs de suivre par la suite.

Puis elle me demanda : « Voulez-vous que nous fassions un silence?». Heureux d’en être quitte à si bon compte, je dis que je voulais bien. Je fermai les yeux, Le silence commença …..

…. d’abord il y eut la conscience qu’une sorte de barrière avait été enlevée: j’étais devenu comme un livre ouvert où l’on semblait lire naturellement et sans effort. Mais qui, «on »? Il semblait n’y avoir là plus personne. Et puis vint comme une présence; et c’était la présence non plus d’une personne, mais de la Vérité.

Ce fut une expérience bien étrange

Je me souviens encore qu’en descendant l’escalier j’avais une sensation de légèreté. Mais c’était différent du simple soulagement éprouvé après une entrevue qu’on avait appréhendée et qui avait bien fini. C’était comme si un lourd manteau avec lequel j’avais vécu toute ma courte vie avait été enlevé. Cette sensation dura un temps et disparut de manière graduelle.

Rien de notable ne se passa par la suite, sinon que pendant quelques mois après cette visite, le soir avant de m’endormir, je voyais une lumière dans un coin de ma chambre. Phénomène à la fois curieux et familier, bizarre mais rassurant, que je prenais comme un signe que tout allait bien, que je pouvais m’endormir en paix.

Mais au cours de cette rencontre qui n’avait duré que peu d‘instants, il s’était produit un phénomène que je ne puis mieux comparer qu’à ce qui se passe en musique lorsqu’on accorde un instrument: le «la» avait été donné. Et cela n’a jamais cessé de résonner au fond de la mémoire intime. C’est comme un diapason auquel il est possible de se référer pour distinguer la note fausse de la note juste. Ainsi j’ai eu à connaître, au cours de ma longue vie à la recherche de la vérité, des personnalités multiples, dans le Mouvement Soufi comme en d’autres endroits. Toutes n’étaient pas forcément des personnalités authentiques dans leur démarche, ni à la hauteur de leurs prétentions, malgré, chez certaines, une réputation de spiritualité et des odeurs d’encens qui flottaient autour de leur personne. Quelques faiblesses très humaines coexistaient trop souvent avec une aspiration sincère. Mais ce que m’avait montré, une fois pour toutes, Murshida Sharifa, c’était l’évidence de la spiritualité et c’était l’image d’un être unifié : « all round progress », tel que le recommandait son Murshid: « un progrès global » dans tous les aspects de l’être, un progrès plein d’équilibre qui concerne aussi bien la force et la beauté du caractère que la croissance de la vie divine dans l’ensemble de la personne humaine. De cette unité, de ce progrès possible, elle était comme une personnification accomplie. Connaître cela m’a évité bien des mécomptes, bien des emballements et bien des impasses par la suite.

Et puis il y a encore ceci : la note spirituelle qu’elle avait fait résonner permet aussi de retrouver (avec plus ou moins de mal, il est vrai) une harmonie intérieure quand la cacophonie de la vie tend à la mettre en pièces. Elle sonne comme un encouragement à continuer, vaille que vaille, la route. Et par-dessus tout elle est comme un fil invisible qui relie le disciple au Maître, et montre ainsi l’illusoire de notre humaine mortalité.

 

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Elise Schamhart et Michel Guillaume se sont mariés en 1948 et la destinée leur a fait la grâce de pouvoir encore écrire ensemble ce Mémorial.

Elise Schamhart est décédée le 13 décembre 2011 presque aussitôt après que la dernière page ait été écrite.

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Mémorial Murshida Sharifa Lucy Goodenough Introduction

 

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