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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


LIBRE-ARBITRE ET DESTINÉE
Le Front Souriant
Chapitre 9
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

Le pouvoir dont un individu a connaissance comme étant son pouvoir est celui de son libre-arbitre jusqu’à ce qu’il prenne conscience du choc de ce libre-arbitre avec le libre-arbitre d’un autre individu. Il réalise alors le conflit entre les libres arbitres de deux personnes. S’il arrive qu’il soit fort dans ce conflit, il emporte la situation et si c’est l’autre qui est le plus puissant, alors celui-là l’emporte. Et quand ils en viennent à penser à la destinée, les uns, s’ils sont peu enclins à croire, diront: "Je ne sais pas si elle existe", mais les autres, s’ils ont quelque croyance dans les choses abstraites, diront qu’il y a une destinée. Et ils auront toutes les preuves pour les en convaincre.

 

Il y a bien des gens habiles et diplômés dans les affaires, les professions libérales, la politique mais leur habileté ou leurs diplômes ne sont pas toujours les raisons qui les conduisent au succès. Nous constaterons très souvent qu’une personne simple, une personne qui manque d’habileté ou qui manque de diplôme a du succès. Ce n’est pas toujours le cas mais il arrive souvent qu’une personne fort innocente soit dans une situation très élevée et qu’une personne très habile travaille peut-être comme son sous-ordre. Il se peut que des gens tenant un grand office aient un secrétaire qui en sait davantage qu’eux-mêmes, sinon toujours, du moins souvent. Et si l’on demande: "Pourquoi cet individu, malgré toute son habileté a-t-il cette place-là, tandis que l’autre s’assied à la place d’honneur? Pour quelle raison?", l’on peut répondre que la destinée travaille derrière l’ensemble les mettant en place et leur assignant leurs rôles. Il y a un dicton en Orient qui prétend: "C’est au berceau que l’on doit voir les pieds d’un petit enfant", ce qui signifie que ce qui doit advenir, on peut le voir dès le berceau; le petit enfant montre des signes qui lui promettent son avenir.

 

La question se pose alors de savoir si la destinée est la volonté de Dieu. L’on peut répondre qu’en un sens la volonté parfaite de Dieu est ce que perçoit dans sa plénitude celui qui est près de Dieu. S’il n’en était pas ainsi l’indication de l’Évangile: "Que Ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel" n’aurait aucun sens. Il n’est pas dit en effet: "Ta volonté s’accomplit sur la terre comme elle s’accomplit au ciel". Si cela était, cela pencherait dans le sens de la destinée. Mais c’est le travail à la fois de la destinée et du libre-arbitre de se conjuguer pour accomplir la volonté de Dieu. C’est le libre-arbitre et la destinée, les deux ensemble, qui accomplissent la volonté de Dieu; mais le libre-arbitre dans son état parfait, dans son sens le plus élevé.

 

Un homme organise quelque chose dans sa vie et puis les conditions s’y opposent. Dans ce cas, ou bien la volonté, la volonté de Dieu est dans cet homme ou bien la volonté est dans les conditions. A la fin, quand l’une de ces deux forces opposées défaille et que l’autre obtient la victoire, la volonté de Dieu est alors accomplie. Il y a un dicton persan: "Quand deux cœurs deviennent un seul, ils peuvent déplacer des montagnes". En d’autres termes quand le vouloir d’une personne et le libre-arbitre d’une autre s’unissent, autrement dit sont en harmonie, alors cela devient un phénomène, cela travaille comme une sorte de magie. Mais quand ils ne s’unissent pas en harmonie, alors la volonté qui est accomplie n’est pas la volonté de Dieu, c’est la destinée.

 

Je vous donnerai un petit exemple. Une dame avait une nouvelle servante. Pour recevoir une amie qui venait lui rendre visite, elle demanda à cette servante d’aller acheter un beau bouquet de fleurs. Quand la servante sortit et demanda le prix du bouquet chez le fleuriste, elle pensa: "C’est invraisemblable de la part de ma patronne de dépenser une telle somme pour cela. J’aurais préféré qu’elle me demande autre chose". Et au lieu de faire ce que la dame lui avait commandé, elle alla acheter des sandwiches au fromage qui lui réjouirent le cœur. Elle pensa: "Quand je les apporterai à ma patronne elle sera contente". Naturellement, quand la dame vit les achats de la servante, elle fut horrifiée; alors qu’elle avait espéré recevoir somptueusement son amie avec des fleurs, voilà qu’elle avait des sandwiches au fromage!

 

Cela peut vous faire mieux saisir cette indication de l’Évangile: "Que Ta volonté soit faite sur la terre comme aux Cieux". Ce que l’homme fait toujours de par sa volonté propre n’est pas toujours la volonté de Dieu. La volonté de Dieu est accomplie lorsque l’homme est en dedans de lui-même en contact avec l’Esprit divin. C’est alors qu’il commence à comprendre le sens de la volonté divine.

 

Ceux qui persévèrent dans le chemin du pouvoir sont de trois sortes: celui dont la voie est montante, celui dont la voie est descendante (et tous deux arrivent à la même fin; le premier peut-être avec une plus grande difficulté, l’autre avec une moins grande), et le troisième qui a le chemin le plus difficile car il n’est ni montant ni descendant: on peut l’appeler le chemin de la croix.

 

La voie montante est celle où une personne pense: "Je dois avoir ceci; je dois accomplir cela", où elle n’épargne aucun effort, aucune pensée, aucune énergie, où elle n’épargne rien. Elle s’engage dans sa recherche, dans sa poursuite jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle voulait. Telle est la voie appelée montante car dans l’ascension vers les hauteurs de la montagne chaque pas est très difficile et très fatigant. Mais si sa patience la soutient, si elle continue à persévérer, il n’y a pas de doute qu’à la fin elle n’arrive au sommet de la montagne. L’on peut constater cela dans les grandes et dans les petites choses. Si un enfant essaye de faire un jouet en pâte à modeler et n’y arrive pas du premier coup et essaye encore une seconde fois sans y arriver, mais la troisième fois, après une semaine, fait le jouet qu’il voulait faire, il a vraiment accompli quelque chose. Mais si après avoir essayé deux fois sans succès il pense: "Oh non, je ne peux pas y arriver", il a échoué. Ce chemin, évidemment, est un chemin de lutte continuelle.

 

Je ne veux pas introduire ici l’idée de bon ou de mauvais mobile ou de bons ou mauvais efforts de la part d’une personne parce que cela nous mènerait au sujet de la moralité que je ne veux pas envisager maintenant. N’importe ce qu’une personne s’efforce d’obtenir, si elle persévère de façon continue sans défaillir, elle s’approche de plus en plus de la volonté de Dieu.

 

Et puis il y a celui qui dit: "Hé bien, je serai résigné. Ce qui sera sera; ce qui arrivera arrivera. Je suis prêt à l’envisager, je suis prêt à le prendre comme cela viendra. S’il arrive que je doive donner, je donnerai; s’il arrive que je doive prendre, je prendrai. Que cela me soit agréable ou désagréable, quoi qu’il advienne, quoi que ce soit qu’offrent les conditions, je prendrai ce qu’offre la vie". Telle est la voie descendante; elle demande peu d’efforts, tout juste comme lorsque l’on descend d’une colline cela ne vous fatigue pas tellement.

 

En fait un chemin n’est pas plus difficile que l’autre. Cela dépend seulement du tempérament avec lequel est né l’individu. Il y a celui qui persévère, qui va se battant contre toutes les difficultés: pour lui descendre la colline est difficile. Il est né avec l’esprit de l’accomplissement, il s’élèvera en dépit de toutes les difficultés. S’il doit y perdre la vie cela n’aura pas d’importance, il ira quand même par ce chemin-là. Et puis il y a cet autre qui est né avec l’esprit de renonciation: il sera satisfait de tout ce qui arrive, il sera en harmonie avec toutes les situations, il sera en paix avec les gens. Qu’ils le traitent bien ou mal, lui prendra tout cela paisiblement, avec harmonie et à la fin il arrivera au même but, il arrivera à rejoindre la volonté divine.

 

La troisième voie est celle de la croix. Elle consiste à la fois à lutter et à se résigner. Il n’y a pas de doute que ce soit la voie la plus difficile. La voie montante est la voie du maître, la voie descendante est la voie du saint, mais la voie de la croix est la voie prophétique. Les prophètes en quelqu’époque et en quelque lieu qu’ils soient apparus, ont lutté sans cesse et se sont résignés à tout ce qui arrivait. D’un côté en étant actifs, de l’autre côté en étant passifs ils ont progressé dans la vie. Par conséquent leur vie est tiraillée des deux côtés. Quand ils marchent, une de leurs jambes est tirée en arrière, l’autre est tirée en avant. Il y a toujours deux côtés à leur vie.

 

Cependant chez toute personne l’on peut trouver l’une ou l’autre de ces qualités dans leur tempérament et le secret du succès dans la vie de chacun et l’accomplissement du but de la vie de chacun réside pour chacun dans le fait de suivre son penchant naturel. S’il arrive qu’un homme soit né avec cette qualité qui le fait toujours lutter, sa voie est de lutter. Il ne doit pas rester passif, il ne doit pas se résigner, car s’il le fait, il échouera et n’accomplira pas le but de sa vie. Mais s’il se trouve que ce soit son tempérament d’être résigné, d’être résigné à tout ce qui arrive, alors il doit prendre cette voie. Il y a de la noblesse d’esprit, d’âme, dans chacune de ces voies. Mais si malheureusement il arrive qu’une personne soit née avec ces deux qualités à la fois, son problème dans la vie sera le plus difficile à résoudre car elle ne pourra faire ni une chose ni l’autre. Sans doute, si elle persiste dans cette voie, le succès sera au bout mais le succès dans le sens spirituel, non pas dans le sens matériel.

 

La question qui se pose maintenant est de savoir si la destinée travaille de façon aveugle ou si elle travaille intelligemment, consciemment? Travaille-t-elle avec sagesse? L’on répondra que jusqu’à un certain point elle travaille plus ou moins consciemment et que, cependant, dans ses diverses manières de travailler, sa condition est différente. Par exemple voici quelqu’un dont l’habitude est de se lever la nuit dans son sommeil; il erre dans sa chambre et se cogne à la porte et aux murs parce qu’il a les yeux fermés. C’est une première manière d’errer dans une chambre. Il y a une autre manière: quelqu’un est absorbé dans son poème, il ne sait pas où il va, si c’est vers le coin de la pièce ou vers l’un ou l’autre des murs; son esprit pense au poème: il marche mais il ne sait pas vers quoi il marche; cependant sa marche a une signification et en même temps n’a pas de signification. Sa marche à ce moment-là est un stimulant pour son inspiration; elle l’aide mais ce n’est pas une marche consciente; pourtant il sait qu’il marche. Et puis il y a une troisième manière, quand une personne va intentionnellement dans un certain coin de la pièce pour y chercher quelque chose: elle a un but en y allant. La destinée travaille selon toutes ces manières. La nature de la vie, de la vie dans sa totalité peut être comprise en étudiant la nature de l’homme.

 

 

Question: Est-ce à dire que la destinée travaille parfois aveuglément comme l’homme qui marche dans son sommeil?

Réponse: C’est pour la démonstration que j’ai essayé de traduire en paroles ce que l’on ne peut pas mettre en paroles. Si je disais qu’il y a seulement sept notes dans la gamme, j’aurais tort et pourtant j’aurais aussi raison parce qu’il y a sept notes sur lesquelles on est d’accord. Mais l’on peut combler l’intervalle entre chaque note - pourvu que l’on puisse les distinguer clairement - avec peut-être cinq ou six notes, ou plus ou moins. Ainsi ce que nous appelons "aveuglément" est seulement dans la mesure de notre perception de la cécité. Quand nous considérons cela selon l’idée de l’Absolu, de l’Être Unique et Total, alors nous ne pouvons pas dire que le travail se fasse aveuglément ou inconsciemment. C’est ce que c’est, cela peut s’exprimer selon différents stades de conscience mais cela ne peut être aveugle, c’est encore conscient; et il y a encore une sagesse à l’arrière-plan, mais non pas cette sagesse que nous comprenons comme sagesse.

Par exemple, quelqu’un marche, endormi dans sa chambre pendant qu’un voleur essaie de dérober quelque chose dans l’armoire; et dans son sommeil il heurte le voleur qui s’enfuit, croyant que cet homme s’est vraiment levé pour lui. Un certain but est ainsi accompli sans intention. La marche du somnambule a ainsi abouti à quelque chose, bien que dans son sommeil il n’ait pas marché dans le but de tomber sur le voleur. Ainsi tout ce qui arrive, que nous en comprenions ou non le sens, a son but et grâce à cela quelque chose est accompli. Peut-être nous en rendons-nous compte à ce moment-là, ou peut-être le saurons-nous plus tard.

 

Question: Quelle distinction peut-on faire entre l’inertie et cette disposition que vous avez indiquée comme étant la seconde voie?

Réponse: On peut comprendre l’inertie comme une sorte de faiblesse mais ce chemin est une sorte de force. C’est une personne très forte qui peut se résigner; une personne qui peut faire des sacrifices, tolérer et se résigner n’est pas forcément une personne faible. Certes il est possible qu’une personne faible, à cause de sa faiblesse, puisse tolérer, puisse faire des sacrifices et se résigner, mais son sentiment quand elle le fait est différent de celui de l’être brave et courageux. La personne que j’ai décrite comme sainte montre la plus grande bravoure que l’on puisse montrer. N’est-il pas brave celui qui, avec patience, prend tout ce qui le dérange, lui fait mal et tourmente sa vie, qui souffre et endure tout? Une personne faible donne un exutoire à ses souffrances. Par exemple voici un artiste dont l’art n’est pas apprécié, qui n’a aucune place dans le monde et qui pendant bien des jours doit vivre sans le sou. S’il s’enferme dans son atelier, travaillant sans pain ni beurre à manger et s’il n’en parle à personne, est-ce qu’il n’est pas courageux? Est-ce qu’il n’est pas brave? Est-ce qu’il n’est pas noble? Est-ce qu’il fait preuve de faiblesse? Non. Celui à qui manquent ces qualités sortirait et dirait: "Regardez-moi! Regardez dans quelle situation je me trouve!" Ce serait bien différent. Il y a une grande force dans une personne qui peut prendre tout cela avec résignation.

 

Question: A la fin, en regardant les événements tels qu’ils se sont produits, ne devons-nous pas dire que tout est fait selon la volonté de Dieu?

Réponse: Eh bien, c’est la manière Soufie: commencer avec le libre-arbitre et terminer avec la volonté de Dieu. La seule consolation quand une chose n’est pas arrivée est d’interpréter cela comme étant la volonté de Dieu.

 

Question: Est-ce que la voie de la croix est la voie heureuse et satisfaisante?

Réponse: Si elle vous rend heureux et satisfait, c’est le cas. Si elle ne le fait pas, ce n’est pas le cas.

 

 

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