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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


DE LA LIMITATION A LA PERFECTION
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


 

L'on demande souvent: "Il est certain que la vie a ses tragédies nombreuses, mais quelle est la plus grande tragédie dans la vie?". La plus grande tragédie est l'unique tragédie qui est voilée sous un millier de tragédies, mais qui est comme la racine d'elles toutes. On peut appeler cette tragédie: Limitation.

 

L'humanité mise à part, si le cœur pouvait écouter le cri qui s'élève d'un rocher, d'un arbre, d'une plante, on entendrait que même de là vient le cri de la limitation. Qu'est-ce que les saints et les sages de toutes les époques ont compris pendant leur réclusion dans la solitude? Qu'entendaient-ils après s'être assis à l'ombre d'un arbre pendant quelque six heures en silence? Qu'entendaient-ils ceux qui passaient peut-être bien des années de leur vie dans les cavernes des montagnes, entendant la parole qui en provenait? Cette parole de grande patience dans laquelle la voix, le cri dans un rocher, un arbre, une montagne parle tout haut, disant: "Patiemment j'ai attendu - attendu le moment où cette limitation cessera". Et ceux qui connaissent le langage des animaux et des oiseaux, qu'en ont-ils entendu? Ils ont aussi entendu la même voix: "Quand ce jour, quand cette heure de liberté viendra, alors je serai libre comme je voudrais l'être". Si l'on entendait le cri de l'univers entier comme un cri unique, ce cri serait toujours le même: "Quand serai-je libéré, quand serai-je libre, quand est-ce que cette limitation finira?".

 

Il est certain que l'homme, dont la vie est active, dont la responsabilité est grande, dont l'intellect est perfectionné quand on le compare avec la création inférieure - son cri est encore plus grand. Y a-t-il au monde quelqu'un qui soit exempt de ce cri de plainte? Chaque âme a sa plainte, chaque âme a sa raison pour se plaindre, seulement l'histoire de chaque âme est différente. Le serviteur trouve la limitation à cause de son maître, le maître trouve la limitation à cause de son serviteur, l'ami trouve la limitation à cause de son ami. De tous côtés l'on trouve la limitation de l'homme. Chacun dit: "L'autre ne me donne pas, ne fait pas pour moi ce qu'il devrait". En d'autres termes, cela signifie qu'un serviteur dira: "Mon maître n'est pas assez généreux", qu'un maître dira: "Mon serviteur n'est pas assez zélé", qu'un amoureux dira: "Celle que j'aime n'écoute pas", et que la bien-aimée dira: "Mon amoureux ne l'est pas assez". La mère dira: "Mon enfant n'écoute pas", l'enfant dira: "Ma mère ne comprend pas". Les gens du monde se plaignent; l'un se plaint de quelqu'un d'autre, un autre du monde, un autre de Dieu, et puis sans doute quelqu'un aura à se plaindre de sa propre faiblesse, de ses folies, de sa santé et de sa situation.

 

Si nous résumons cela à une idée, nous arrivons à ceci: que chaque être, sans savoir ce qu'il attend, attend avec la plus grande ardeur. Ne sachant pas quoi, pourtant il attend. Vous pouvez rencontrer un individu dans une misère telle qu’il n'y a pour lui aucune possibilité d'en sortir. Cependant il attend, il ne sait pas quoi; pourtant son âme le sait. Il attend, il ne sait pas quoi. Et s'il n'y avait pas cet esprit, ce quelque chose qui cherche, qui attend et espère quelque chose que l'homme ne connaît pas - la seule chose qui le fasse vivre - combien mourraient? L'homme attend le moment de sortir de sa misère peut-être pendant toute sa vie. Il y a quelque chose de prometteur qui vient du dedans et il ne sait pas ce que c'est, et pourtant il attend, ne sachant pas quoi.

 

Qu'est-ce que tout cela signifie? Cela signifie qu'il y a des choses que l'homme aime, il y a la richesse que l'homme aime, la beauté, la justice, la bonté. Il aime ces choses mais il ne peut en obtenir suffisamment à cause de la limitation. Alors il blâme les autres, disant: "Cette personne ne me montre pas de bonté. Cette autre n'a pas été gentille. Une autre n'a pas été juste". Il a raison mais en même temps il ne sait pas qu'aucun individu ici n'est parfait, et l'homme doit savoir qu'il ne pourra ni donner ni recevoir quoi que ce soit de parfait, car ce monde d'illusion est un phénomène de limitation. C'est un pressoir où le verre de vin est offert, mais offert seulement pour toucher vos lèvres, non pas pour que vous le buviez. Voilà la tragédie de l'âme qui s'écrie: "Oh, je voudrais un verre de vin", ne sachant pas qu'il ne fera que toucher ses lèvres. Et l'idée: "J'ai trouvé mon idéal" est un rêve, une illusion. Au matin vous vous apercevrez qu'il n'en est pas ainsi. Pourtant c'est l'idéal qui est l'intérêt de la vie. L'homme qui n'est intéressé que par le fait de toucher le verre de vin seulement avec ses lèvres est toujours dans la limitation, il ne connaît pas le mystère de la vie. Et l'on peut dire cela de ceux qui sont absorbés par la vie matérielle; ils ne savent pas ce qui est au-dedans, ce qui est au-delà, ils ne savent pas ce que la joie réelle signifie.

 

Le monde est une place de marché, un marché où tout ce qui est vendu coûte davantage que ce qu'il vaut. L'homme est ravi de posséder quelque chose, croyant que c'est précieux et qu'il a fait un bon marché; mais cette joie a un temps limité. Et ensuite l'homme est comme Bouddha qui vint dans cette vie, qui regarda sa limitation, qui vit chaque âme s'en plaindre, et puis s'éveilla à une autre conscience.

 

On raconte que Bouddha fut gardé par le roi son père dans un palais où tous les plaisirs et les conforts l'entouraient et qu'il ne lui était pas permis de sortir dans le monde pour voir la douleur du monde. Le jour où il lui fut permis de sortir, que vit-il? Il vit le cri de limitation, le cri d'impuissance et la nostalgie des hommes pour quelque chose - et ils ne savaient pas pourquoi. Et Bouddha dès lors se mit en route pour découvrir le remède à la douleur de la vie, essayant à tout prix de le trouver pour servir l'humanité, comme les serviteurs de l'humanité l'ont fait dans tous les âges.

 

Maintenant, que poursuit l'âme dans sa recherche de choses variées? Elle cherche une seule chose: s'élever au-dessus de la limitation, et c'est ce qui est appelé perfection. L'on voit en petit ce phénomène dans le monde, et l'on se demande ce que la perfection peut être. Pour donner un exemple: dès l'enfance j'avais une prédilection pour voir les gens qui avaient accompli quelque chose dans leur vie, quoi que ce soit. Pour moi, c'était une satisfaction de voir un grand poète; même si je n'entendais aucun poème de lui, mais de voir cette personnalité. Il arriva un jour que j'entendis le nom d'un grand lutteur qui était le plus grand de l'époque dans mon pays. Personnellement je n'avais aucun intérêt pour les combats, la boxe ni la lutte, cependant ayant entendu qu'il était le plus grand, j'eus le vif désir d'aller le voir. Quand j'y allai et que je vis cet homme, je fus immédiatement conquis par sa personnalité. Un lutteur, aussi grand que lui, et qui avait une personnalité d'enfant et l'innocence d'un petit enfant. Moi, étant si jeune, debout devant lui comme une petite plante devant un grand arbre, et trouvant pourtant dans ce grand homme cet amour, cette humilité, cette douceur et cette attitude amicale, cela me surprit beaucoup. Cela devint pour moi une clé pour comprendre ce que veut dire la grandeur.

 

La grandeur est une réflexion de la perfection. Depuis lors, ayant laissé ce pays de religion, de spiritualité et de dévotion, étant venu dans le monde occidental et voyageant en Amérique, qu'ai-je trouvé? Que la grandeur est la grandeur, que ce soit en Orient ou en Occident. Quand une personne, en quelque direction que ce soit, a touché la note la plus haute, en elle il y a perfection et on peut le sentir dans sa personnalité. Qu'est-ce que cela veut dire? Quelqu'un qui s'est efforcé dans l'art, la philosophie, la science, les inventions scientifiques, en n'importe quel domaine, s'il a été au fond de ce à quoi il s'intéressait, touche réellement la perfection, ce qui se manifeste en lui par un sens spécial et par une qualité particulière. Néanmoins il y a un objet qui est l'objet de recherche de chaque âme, et cet objet est la réalisation de la perfection divine. C'est en cette perfection divine que réside l'accomplissement de la venue de l'âme sur la terre.

 

Comment peut-on trouver cette perfection? Seulement par la croyance en Dieu? Non, la croyance en Dieu est le premier pas. Un autre pas est nécessaire et ce pas, le pas suivant, est la compréhension de la perfection de Dieu. Comment la comprend-on? On la comprend en trouvant tout ce dont on manque dans ce monde de limitation dans son propre idéal de Dieu. Par exemple, un vrai adorateur de Dieu, quand il éprouve l'injustice qui lui a été faite par son prochain, n'abandonne pas sa recherche de justice, car il trouve la justice en Dieu. Quand l'amitié et l'amour et la sympathie lui manquent dans ce monde de limitation, il ne se décourage pas. Il dit: "Voilà le monde de limitation. Que puis-je en espérer de plus? Je trouverai tout dans l'idéal de Dieu". Quand il est déçu par la beauté de cette terre qui est si illusoire et qu’il a constaté qu'il n'y a pas de perfection de beauté ici, il n'est pas découragé, il trouve la perfection de la beauté dans son Dieu. Le monde n'a jamais donné à quiconque tout ce qu'il voulait et désirait, parce que le monde est pauvre et ne peut accorder ce que l'homme désire. C'est Dieu seul qui est riche, et c'est Dieu seul qui possède tout ce qui manque dans ce monde et que l'on peut seulement emprunter. Si l'homme a trouvé un aperçu de perfection, de justice et d'amour dans les exemples d'humanité comme Jésus-Christ, il l'a trouvé dans ces âmes qui ont emprunté à Dieu et donné à l'homme. L'homme a dit de celui en qui il a reconnu la bonté, l'amour, la grandeur, la justice: "Voici le saint, voici le prophète; voici le sage, le saint homme". Mais il ne sait pas que c'est l'amour de Dieu, la justice de Dieu. C'est cela qui est reflété à travers eux.

 

Il y a maintenant une question: comment peut-on arriver à cette perfection? Est-elle si difficile qu'elle soit impossible à atteindre pour l'homme? Et combien de temps cela prend-il est une autre question qui s'élève dans le cœur de quelqu'un d'intellectuel. On peut répondre à cette question en demandant: "Comment veut-on faire pour entreprendre un voyage d'ici à Moscou?". Si l'on veut y aller à pied, cela prendra un certain temps; si l'on est motorisé, cela prendra un laps de temps différent; si l'on veut prendre le train ou l'avion, le temps que l'on mettra sera encore différent.

 

Néanmoins, le désir d'atteindre la perfection est le désir le plus profond de chaque âme, et c'est parce que l'on ne connaît pas ce mystère que l'on sent: "Je suis malheureux parce que je n'ai pas obtenu ceci ou cela - situation, pouvoir, fortune, ou un ami". L'homme trouve d'emblée une réponse quelconque pour cette nostalgie, parce qu'il ne sait pas vers quoi il languit. Mais une fois que vous aurez donné à quelqu'un ce qu'il désire, vous constaterez qu'il n'est pas heureux, qu'il veut quelque chose d'autre parce que c'est vrai qu'il ne sait pas ce dont il a besoin. C'est tout à fait comme de donner un jouet à un enfant; il est content pour un moment, et après quelque temps il rejette le jouet et veut quelque chose d'autre. Il ne sait pas ce qu'il veut.

 

Comment cette perfection doit-elle être atteinte? On peut l'apprendre en voyant comment la perfection terrestre peut être atteinte. Si quelqu'un devient très riche, quels sacrifices il doit faire! Il s'oublie lui-même, il ne se soucie pas de lui et alors il atteint la renommée ou la gloire, la situation ou la fortune. En vérité, c'est le sacrifice de soi du commencement à la fin, soit pour le gain matériel soit pour ce gain qui est la recherche de toute âme.

 

Que signifie ce sacrifice? Veut-il dire que l'homme doive vivre une certaine sorte de vie, une vie de pauvreté et de réclusion? Il peut vivre une vie de pauvreté, une vie de réclusion et pourtant s'accrocher si fermement à lui-même qu'il peut être très loin de la perfection. La perfection consiste à s'élever au-dessus de la fausse conception de son propre être et de ce que l'on peut appeler le faux ego. C'est ce musicien qui a étudié la musique et qui a oublié son nom; c'est ce poète qui a écrit de la poésie vraie, un poème vivant, et qui s'est perdu lui-même. Dans le même domaine, vous verrez le chemin vers la perfection, la plus haute perfection que Jésus-Christ a promise dans la Bible, en disant: "Soyez parfaits comme votre Père au Ciel est parfait".

 

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La perfection

 

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