soufi-inayat-khan.org

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


LA RÉFLEXION DU MAÎTRE
Le Palais des Miroirs
Chapitre 11
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

L'âme hérite des traits de caractère de ses parents et ancêtres, et apporte aussi des qualités venant des sphères plus élevées; mais l'âme hérite également des qualités du maître, surtout par l'enseignement spirituel qu'elle en reçoit. Elle hérite aussi certaines qualités de tous ses différents maîtres. Quand un enfant va au cours élémentaire, il y apprend quelque chose qui n'est pas uniquement enseigné par les livres scolaires, mais qui vient de l'esprit du maître. On constate souvent dans les écoles que l'influence d'un certain enseignant marque fortement le caractère des élèves et concourt à leurs progrès.

 

Comme la conduite spirituelle n'est pas nécessairement une étude, l'enseignement que donne le maître à l'élève atteint ce dernier sous forme de «réflexion». En terminologie soufie, cet enseignement s'appelle «Tawajo». Ce que l'on apprend ordinairement provient des livres, mais ce que l'on apprend d'une âme, d'un esprit, provient d'une source vive. Ce que l'on lit dans un livre ne vous atteint pas aussi profondément que la même chose, expliquée de vive voix; surtout quand cela vient de la parole du maître.

 

Un mourîd avait lu une certaine pensée, un enseignement, quatre ou cinq fois dans un livre, mais il ne parvint à le comprendre que lorsque je le lui expliquai. Dire la chose l'aida beaucoup plus que la lire à plusieurs reprises. Souvent les lettres tracées sur le papier ne vont pas plus loin que les yeux, alors que la parole, qui vient de l'âme, atteint l'âme. C'est pourquoi tout ce que l'on peut apprendre par le phénomène de la «réflexion» a plus de valeur, surtout dans le domaine spirituel, que la connaissance acquise autrement.

 

Il y avait autrefois à Calcutta un congrès de religions, où des représentants de toutes les écoles mystiques étaient invités. Shankaracharya était le principal représentant du brahmanisme, et, après avoir fait une conférence impressionnante devant le congrès, il souhaita demeurer silencieux; mais l'assistance désirait poser des questions. Shankaracharya regarda ses disciples autour de lui et demanda à l'un d’eux de répondre. Qui était ce disciple? C'était quelqu'un que même les autres disciples ne connaissaient pas car il s'occupait surtout de faire la cuisine, le ménage, et de mettre de l'ordre dans la chambre de Shankaracharya. Ceux, dont la compétence était connue, ne furent pas sollicités, mais cet homme, dont on ignorait l'existence même, le fut. De toute sa vie, il n'avait jamais fait une chose pareille, et c'était seulement parce que son maître le lui demandait qu'il se tenait là, devant l'auditoire, sans même se demander s'il était capable de répondre aux questions. Toutes les réponses qu'il donna auraient pu être données par Shankaracharya lui-même. Les autres élèves furent pleins d'admiration, et en même temps consternés de n'avoir jamais remarqué cet homme parmi eux. C'est ce phénomène que les soufis reconnaissent comme Tawajo, la «réflexion» du maître. Ce n'était pas le disciple, c'était le maître lui-même qui avait parlé.

 

Ce que l'on appelle la chaîne des Murshids est également un phénomène de réflexions: une âme reçoit le reflet d'une autre âme, elle le transmet à une autre, et ainsi de suite. Un tel trésor, que l'on ne peut acquérir par la méditation ou l'étude, est acquis grâce au reflet. Il est vrai que l'on peut le comprendre par l'étude, et que la méditation prépare le cœur à mieux recevoir le reflet. Mais le prodigieux effet de la réflexion d'un mental est infiniment plus considérable que tout ce que l'on peut atteindre, dans le domaine spirituel, par les études.

 

On trouve dans les anciennes écoles mystiques, parmi les soufis, les yogis, et parmi les bouddhistes, des expériences remarquables par lesquelles une connaissance donnée environ quatre mille ans plus tôt est traduite dans un langage plus clair et mieux expliqué, tout en préservant sa beauté et sa particularité traditionnelles. La plus grande beauté de la connaissance mystique, de quelque école et de quelque partie du monde qu'elle provienne, vient de ce qu'il n'y a qu'un unique thème central, qui est la connaissance de la Vérité. Ceux qui ont acquis la connaissance de la vie, sous ses aspects divers, peuvent l'exprimer de façons différentes; ils peuvent discuter à ce sujet et ne pas se mettre d'accord sur certains points. Mais ceux qui ont touché la Vérité Ultime ne peuvent que s'entendre, ayant compris la même chose, car ils ont atteint la Vérité qui reste toujours la même. Ni l'évolution ni l'involution ne sauraient la diminuer ou l'augmenter. Elle est ce qu'elle est, et la meilleure façon de l'atteindre est la voie de la réflexion.

 

 

Question: Est-il possible que le phénomène de réflexion fasse parler quelqu'un, sans qu'il comprenne lui-même ce qu'il dit?

Réponse: Oui, mais d'autre part, le reflet reçu d'un mental est autre que la réflexion envoyée sur une pellicule photographique. La seconde persiste, mais n'est pas vivante; le reflet reçu sur le mental, par contre, vit; il est donc créateur; du moins aide-t-il à créer ces mêmes idées.

Ceci nous conduit à aborder le problème de la médiumnité. J'ai entendu des gens chanter des chansons qui n'étaient pas de leur tradition, qu'ils n'avaient jamais apprises, qu'ils n'étaient pas sensés connaître. De même m'avait-on parlé d'une jeune fille à Bombay qui ne connaissait pas le Persan, mais qui, par moments, le parlait, et si parfaitement, que des lettrés persans venaient discuter avec elle de problèmes métaphysiques. Elle défendait alors fermement ses raisonnements, et les savants persans en étaient impressionnés. Mais, à d'autres moments, elle en ignorait tout.

On voit souvent les poètes, surtout les poètes mystiques, écrire des choses qu'ils ignorent eux-mêmes, et parfois, ils interprètent ou comprennent mieux leur poésie dix ans plus tard. Un de mes amis me montra un poème dans lequel il avait employé des termes qui ne sont connus que des grands initiés. Je m'en étonnai, et je lui demandai ce qu'il avait voulu dire. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il ne le savait pas, qu'il ignorait le sens de ce passage. Sans le savoir, il était un poète médiumnique. D'ailleurs, un poète ne peut être un grand poète s'il n'a pas une nature médiumnique; car la Source parfaite est au-dedans de l'homme, et le reflet qui provient de l'intérieur est plus parfait que tout ce que l'homme peut apprendre dans ce monde.

 

Question: Peut-on dire que la parole a plus d'influence que l'écrit, parce que la voix transmet les vibrations de l'âme?

Réponse: Certainement. La parole fait davantage impression, parce qu'elle est portée par l'âme; elle illumine et inspire. Le même mot lu dans un livre n'a pas la même influence.

Je me souviens avoir entendu, pour la première fois de ma vie, une phrase dont l'impression resta tellement vivante, que, pendant des semaines, je ne pus l'oublier. Chaque fois que j'y pensais, elle m'apportait une lumière nouvelle. Quand j'avais entendu cette phrase, c'était comme la voix de ma propre âme, comme si mon âme l'avait toujours connue, comme si ce n'était pas nouveau pour elle, mais une chose qui lui était très chère et proche. C'était une strophe d'un poème dans lequel l'écume flottant sur la mer s'adresse à elle:

«Je ne suis qu'écume, et toi la mer,
et pourtant toi et moi nous ne sommes pas différentes l'une de l'autre».

Une phrase toute simple, mais qui pénétrait dans mon cœur, ainsi qu'une graine jetée dans un sol fertile. Dès lors, elle ne cessa de croître. Chaque fois que je pensais à cette strophe, elle m'inspirait une idée nouvelle.

 

Question: Y a-t-il une différence essentielle entre un reflet reçu directement d'un Maître et celui que l'on peut en recevoir indirectement en le lisant?

Réponse: Écouter un Maître permet de recevoir une réflexion directe, qui ne vient pas seulement des mots qu'il prononce, mais de son silence même, qui se reflète parfois bien plus profondément. Les mots que ce même Maître a écrits, s'ils sont venus de la profondeur de son être, envoient aussi une réflexion. Mais si ces mots sont prononcés par lui, cette réflexion est plus forte. Par exemple, si Tagore récite ses poèmes lui-même, ils procurent infiniment plus de joie.

Le charme des vers que Roumi a écrits dans le Mathnavi est toujours vivant. Il y a longtemps que le Maître a disparu, mais ses paroles avaient jailli de son cœur, et ont un effet tel, qu'en les lisant, elles pénètrent notre âme.

Cette réflexion est différente du reflet d'un film sur un écran: c'est la réflexion d'une âme sur une âme, et cette réflexion est créative, et elle est vivante.

 

Question: Le reflet du Maître peut-il également venir lorsqu'il est au loin?

Réponse: Certes, la distance ne fait pas une grande différence. Le disciple qui est proche du Maître, même s'il est à l'autre bout du monde, est plus près de lui qu'une personne, qui, bien que toujours à ses côtés, ne lui est pas proche. Néanmoins, dans la voie du progrès spirituel, il est souvent nécessaire d'avoir une rencontre sur le plan physique. Le contact est précieux; il vous recharge.

 

 -oOo-

 

Le Palais des Miroirs   La réflexion transformatrice   Tawajo

 

Présentation La Musique du Message Accueil Textes et Conférences Lexique
Accueil