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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Vision profonde
Psychologie - Cahier 3

Chapitre 10
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

(New-York, 26 Mai 1926, rapportée en sténographie par Kismet, transcrit par elle-même ;
transcription comparée avec les notes sténographiques par A. Strijbos)

 

Comme il y a des gens qui ont la vue courte et d'autres qui ont une vue longue, de même il y a des gens qui voient les choses à une grande distance avec les yeux du mental, mais ne peuvent pas voir ce qui est près d'eux. Ils ont la vision longue. Et puis il y en d'autres qui ont une vision courte; ils voient tout ce qui est près d'eux mais ne peuvent pas voir plus loin.

On dit qu'il y a un troisième œil. C'est vrai, mais quelquefois ce troisième œil voit à travers les deux yeux, et ainsi ces mêmes yeux voient les choses plus clairement qu'ils ne le feraient autrement. Grâce au troisième œil vos yeux peuvent pénétrer à travers le mur de l'existence physique et voir ce qu'il y a dans le mental des gens, dans les paroles des gens, et même plus loin.

Quand on commence à voir, la première chose est que tout ce qu'on voit par les yeux possède un sens plus profond, une plus grande signification que ce que l'on percevait auparavant. Chaque mouvement que fait une personne, chaque geste, sa forme, ses traits, sa voix, ses mots, son expression, son atmosphère, tout commence à raconter la nature et le caractère de la personne.

Ne connaissant pas ce secret beaucoup veulent étudier ce qu'on appelle la physiognomonie, ou la phrénologie, ou la graphologie ou les lignes de la main. Mais en comparaison de la claire vision toutes ces sciences différentes sont limitées. Elles ont une certaine signification, cependant quand vous comparez ces sciences limitées avec la vision profonde que l'homme possède, elles se montrent petites. En outre, la lecture du caractère n'est pas apprise, elle est découverte. C'est un sens qui s'éveille. Vous n'avez pas besoin de l'apprendre, vous la connaissez.

Ceci est une sorte de vision profonde. Puis il y a une autre vision profonde, qui est une vision des affaires. Que ce soit une affaire commerciale, une affaire professionnelle, une condition, une situation dans la vie, une fois que la vision est claire on a la situation en mains. Car ce qui rend les choses difficiles dans la vie est le manque de connaissance de ces choses. Il peut s'agir d'un petit problème, mais quand vous ne voyez pas de quoi il s'agit, il devient pire, ce devient un problème très lourd. Vous ne pouvez pas le comprendre et cela le rend pire. Vous pouvez analyser un problème et y appliquer votre raison, il restera toujours déroutant. C'est le développement de la vision profonde qui vous donne une vision claire des affaires, des conditions et des problèmes de la vie.

Il y a l'impression, il y a l'intuition, il y a l'inspiration, il y a le rêve et il y a la révélation. Dans ces divers aspects se montre la vision profonde.

Celui qui peut recevoir l'impression d'une personne n'a pas besoin d'attendre pour voir comment se montre cette personne. Il le sait instantanément. Très souvent beaucoup ont au premier coup d'œil le sentiment qu'une personne sera amicale ou hostile. Quand quelqu'un vient me dire : « Je suis très intéressé par votre philosophie, mais avant de m'engager je veux l'étudier », il pourra l'étudier pendant des milliers d'années et continuer à le faire, et ne pas arriver à cette vision profonde. C'est dès le premier moment que quelqu'un est mon ami ou n'est pas mon ami. Pour des amis cela ne prend pas des années pour développer l'amitié. Quand deux personnes se rencontrent une confiance s'établit, pas besoin d'années pour devenir amis - c'est idiot. Si l'on doit faire de quelqu'un son associé ou son collègue dans son métier, l'on a une impression. Si dans cette impression l'on perçoit qu'il ne fera pas l'affaire et qu'on ne l'écoutera pas, a la fin ce sera un échec. Si on regardait d'abord l'impression, on serait à l'abri; et cela vient en un instant.

L'intuition est encore plus profonde, car dans l'intuition vous recevez un avertissement. Intuitivement vous sentez qu'une personne vous trompera un jour, ou se retournera contre vous, ou bien qu'elle se montrera fidèle et sincère envers vous. Ou bien, vous savez que dans une certaine affaire vous aurez du succès ou un échec. La difficulté réside dans le fait de distinguer la vraie intuition. C'est une grande question. Car aussitôt que l'intuition jaillit, la raison, sa compétitrice, s'élève aussi et dit : « Non, ce n'est pas ainsi ». Alors il y a un conflit dans le mental et vous ne pouvez pas faire la distinction, parce qu'il y a deux sentiments en même temps. Si quelqu'un fait une habitude d'attraper la première intuition et de l'empêcher d'être détruite par la raison, l'intuition est la plus forte et on peut en tirer bénéfice. Il y a beaucoup de gens intuitifs, mais ils ne peuvent pas distinguer l'intuition de la raison, et parfois ils les mélangent, parce que très souvent la seconde pensée, étant la dernière, est plus claire devant leur vision que la première. De sorte que l'intuition est oubliée et que la raison est retenue, et l'on appelle intuition ce qui n'en est pas.

De plus, ceux qui doutent de l'intuition, leur intuition doute d'eux. En d'autres termes, le doute devient un mur entre eux et leur faculté intuitive. C'est une action psychologique : aussitôt que l'intuition a jailli, le doute et la raison s'élèvent, de sorte que la vision est troublée.

L'intuition des chiens, des chats et des chevaux semble quelquefois plus claire que celle de l'homme. Ils savent s'il doit y avoir quelque accident, si la mort ou la maladie doivent se produire dans la famille, ou un incendie ou un accident dans la maison. Ils le savent d'avance et donnent un avertissement aux gens. Mais les gens sont si occupés par leurs occupations journalières qu'ils ne répondent pas à l'intuition des animaux. Les gens en Orient croient que même de petits insectes connaissent ce qui va se passer et donnent avertissement à ceux qui peuvent les comprendre. Les oiseaux aussi avertissent d'une tempête, ou du vent et de la pluie, ou de la sécheresse.

L'inspiration vient au petit nombre, spécialement aux artistes, aux peintres, aux sculpteurs, aux chanteurs, aux poètes, aux musiciens, aux penseurs, aux écrivains, aux inventeurs. L'inspiration est un don. Elle est comme une pièce ouverte à quelqu'un, dans laquelle on peut trouver toutes les belles choses, où tout ce dont on a besoin est à portée de main. Par conséquent, pour un poète, un musicien, recevoir une inspiration ne nécessite aucun effort. Aucun labeur n'est requis; il doit seulement s'y sentir enclin et il l'atteint. Vous pourriez demander quel est ce magasin d'où provient l'inspiration. C'est le Mental divin qui a en lui toute connaissance. On n'a qu'à le toucher et la connaissance est à portée. Quelqu'un peut faire des efforts pendant longtemps pour créer quelque chose qui en vaut la peine et ne pas y arriver, et grâce à l'inspiration il pourra l'accomplir aussitôt. Un poème que l'on n'a pas pu terminer en six mois, dans une vague d'inspiration est terminé en un instant. Et ce qui est fait par inspiration est plus grand que ce qui est fait avec effort. Tout ce qui a été fait par inspiration a produit l'effet le plus grand sur les gens. Toutes choses qui sont le produit de l'inspiration sont vivantes et ont leur charme pour toujours. L'on n'est jamais fatigué de ces choses.

Maintenant en ce qui concerne les rêves, nous avons différentes sortes de rêves. Il y a une sorte qui est une action automatique du mental. Tout ce dont on a pu faire l'expérience dans la journée, sur cette même ligne le mental fonctionne la nuit. C'est ainsi reproduit dans le rêve.

Et puis il y a une autre sorte de rêve qui montre le contraire de ce qui doit arriver. Si on doit être heureux on se voit malheureux, si on doit avoir du succès on se voit en échec. C'est contraire à tout ce qui va arriver. C'est une sorte de condition perturbée du mental. C'est comme quand on regarde dans certains miroirs où une personne maigre se voit grosse et une personne grosse se voit maigre. Tout se montre contraire à ce que c'est.

La troisième sorte de rêve est un rêve symbolique et c'est le rêve le plus intéressant. Plus grande est la personne, plus subtil est le symbolisme de son rêve; avec la grossièreté de la personne, le symbolisme est grossier; plus la personne est évoluée, plus elle est fine, plus le rêve est artistique et subtil. Et voici l'aspect le plus intéressant du rêve : pour un poète il y aura des symboles poétiques, le rêve d'un musicien aura des symboles musicaux, dans le rêve d'un artiste il y aura des symboles artistiques.

Et puis il y a le rêve réaliste; on voit directement ce qui va arriver. Cela nous donne aussi une vision de ce que nous appelons le destin : que tout ce que nous appelons accident est seulement notre conception. Parce que nous ne le connaissions pas auparavant, nous l'appelons accident, mais il y a un plan; c'est planifié et par avance connu de l'Esprit et de ceux qui savent. Il y a des sages qui connaissent leur mort un an à l'avance. Ainsi il n'y a rien qui puisse être un accident. Quand quelqu'un ne sait pas cela veut dire qu'il ne voit pas. Mais c'est là.

La révélation est encore plus grande. C'est la perfection de la vision profonde. C'est un plus grand développement quand commence la révélation. Un être se sent en accord avec chacun, chaque chose et chaque condition. Mais afin d'arriver à ce stade on doit se développer dans ce sens. Le cœur doit être accordé à ce stade, à ce diapason où l'on se sent en unité avec les personnes, les objets et les conditions. Par exemple, quand on ne peut pas supporter le climat, cela veut seulement dire que l'on n'est pas en harmonie avec le climat; quand on ne peut pas s'accorder avec des gens, cela veut dire que l'on n'est pas en harmonie avec les gens; et quand on ne peut pas s'accommoder des circonstances, l'on n'est pas en harmonie avec les circonstances.

Les sages en Orient furent jadis appelés balakush, ce qui veut dire : « qui prennent le breuvage des difficultés ». Ils appelaient les difficultés de la vie un breuvage qu'on avait à boire. Une fois que c'était bu, c'était fini. Ils n'en étaient pas effrayés, ils ne voulaient pas les éviter. Ils disaient : « Si nous les évitons maintenant, la fois suivante elles viendront à notre rencontre, elles viendront un jour ou l'autre. Si nous y échappons aujourd'hui, demain elles arriveront. Donc laissons-les venir telles qu'elles viennent, et buvons-les comme un vin ». Le principe de Mahadeva, des derviches et des grands fakirs, de tous les sages, est ce grand principe : de boire les difficultés comme du vin. Alors il n'y a plus de difficulté. Quand on est en accord avec la vie, la vie devient révélatrice, parce qu'alors on est ami avec la vie. Avant cela l'on était un étranger chez elle. L'attitude fait une telle différence, et c'est la différence d'attitude qui fait qu'une personne est spirituelle ou matérielle. Il n'y a rien à changer sauf l'attitude.

Les gens demandent bien souvent : « Qu'est-ce que le Soufisme ? Est-ce une religion ? Est-ce une philosophie ? » Ce n'est pas une religion parce qu'il n'a pas de dogmes. Ce n'est pas une philosophie parce qu'il n'a pas de théories particulières. C'est une vision des choses, un certain point de vue sur la vie, une attitude envers la vie qui fait de vous un soufi. Ce n'est pas de tenir à une théorie ou d'être adepte d'un certain dogme. On pourrait demander : « De quelle attitude s'agit-il ? »; et en gros je répondrai : une attitude amicale, à la fois envers l'ami et l'adversaire, envers les choses agréables et désagréables, envers toutes les conditions; quand vous vous élevez et quand vient l'abaissement, quand vous avez du succès et quand vous avez échoué, dans la souffrance et le bien-être : être en accord avec tout. La personne grande est celle qui est toujours amicalement portée vers toutes les personnes et toutes les conditions qu'elle rencontre dans la vie. C'est cela qui développe la révélation; alors les choses et les êtres dans la vie commencent à se révéler eux-mêmes et l'on reçoit une plus grande connaissance.

Qu'apprenons-nous grâce à cela ? C'est à développer la vision profonde; à ne pas être excité par quelque influence que ce soit qui essaie de nous faire sortir de notre rythme, mais de garder le rythme dans toutes les situations de la vie; à garder notre équilibre, notre tranquillité dans toutes les conditions de vie. Quelquefois il est très difficile de garder notre équilibre quand les influences de la vie nous bousculent, et de conserver notre aplomb à travers tout. Il est difficile, en face d'influences opposantes, de garder une attitude amicale. Mais en même temps, parce que c'est difficile, c'est une grande réalisation. Pour atteindre quoi que ce soit de valable et de précieux l'on doit passer par des difficultés. Mais il n'y a rien à payer pour cela; l'on apprend sans avoir à débourser. C'est quelque chose que l'on peut pratiquer tous les jours dans la vie, parce que du matin au soir l'on est sans cesse parmi des effets discordants de tous les côtés. Il y a quantité d'occasions de pratiquer cette leçon qui consiste à conserver une attitude amicale envers chacun, à rencontrer courageusement toute condition et à accepter toutes les influences qui surviennent. C'est de cette façon qu'on atteindra une vision plus profonde de la vie

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Question : Quand quelqu'un est guidé par la raison dans la vie, que devient l'intuition ?

Réponse : La raison et l'intuition sont deux compétiteurs, et pourtant toutes deux ont leur place, leur importance et leur valeur. Le mieux serait d'essayer de capter d'abord l'intuition et ensuite de la raisonner.

 

Question : Comment développer l'intuition sans que la raison s'interpose ?

Réponse : Comme je l'ai dit, on doit développer la confiance en soi et faire confiance à son intuition. Même si une, deux ou trois fois elle s'est montrée fausse, il faut cependant continuer, et ainsi l'intuition deviendra claire.

 

Question : Peut-on atteindre une connaissance illimitée sans une base scientifique ?

Réponse : La connaissance scientifique n'est jamais une base. La connaissance scientifique est toujours un produit de l'intuition. Elle semble être un fondement, mais elle n'est jamais cela. La science n'a jamais été apprise de la science, elle a été apprise de l'intuition. Sur la fondation de la science une autre science s'est formée, mais la fondation de la science est l'intuition. Il est certain que ce qui est construit aujourd'hui comme quelque chose de plus avancé, comme une amélioration, est basé sur la science. Mais la fondation n'est pas la science, la fondation est la faculté humaine.

 

Question : Comment atteint-on la stabilité mentale ?

Réponse : Par l'amour de tout ce qui est stable. Quelqu'un qui est dépourvu de stabilité mentale est sans valeur. Quoiqu'il soit pour vous, votre ami, votre assistant, votre serviteur ou votre maître, si on ne peut pas se fier à lui, en quelque capacité que ce soit il est sans valeur. La stabilité est le signe de la vie éternelle montré au milieu de cette vie de changement.

 

Question : Si quelqu'un est tué par un train, était-ce sa destinée de mourir ?

Réponse : Oui.

 

Question : Si tout est tracé d'avance, où vient le libre-arbitre ?

Réponse : C'est tracé par le libre-arbitre.

 

Question : Les accidents sont-ils préparés par des maîtres invisibles ou par notre propre karma ?

Réponse : Les maîtres invisibles ne sont pas intéressés par les accidents. Pourquoi le seraient-ils ? Si vous dites : « notre propre karma », même cela je ne voudrais pas y insister. Je citerais en réponse à cette question, les paroles du Christ : « tout est fait pour que les oeuvres de Dieu soient connues ». En d'autres termes, si l'on dit : « Pourquoi doit-il y avoir un tambour dans l'orchestre, pourquoi doit-il y avoir une trompette dans l'orchestre », je répondrai : « Pour que la musique soit jouée comme le compositeur le souhaitait ». Peut-être que du point de vue de notre mentalité c'est désagréable, mais le compositeur a écrit la musique qui demandait un tambour et une trompette. De la même manière tout ce qui parait inutile, est cependant pour un certain but, tout concourt à la symphonie divine. Nous disons : « Pourquoi en est-il ainsi ? », et c'est ce que notre mental limité y voit.
En réalité chaque chose a sa place et son but. Quelqu'un demanda par plaisanterie au Prophète : « Pourquoi les moustiques ont-ils été créés ? » et le Prophète répondit : « Pour que vous ne puissiez pas dormir toute la nuit, mais pour vouer une partie de votre nuit aux prières ».

 

Question : Comment distinguer entre les rêves automatiques et les autres formes de rêve ?

Réponse : Par les rêves eux-mêmes.

 

Question : Comment s'accorder avec des habitudes néfastes ?

Réponse : On ne pourrait pas corriger des mauvaises habitudes si l'on n'était pas en accord avec elles. Ce n'est pas celui qui fait des reproches à un individu qui fume qui peut le corriger, mais celui qui s'assied avec lui et lui dit avec naturel de se débarrasser de cette habitude. La femme qui dit : « Mon mari boit, je refuse de l'approcher » ne le guérira pas. Mais celle qui ira vers lui dans la rue pour le ramasser et n'en sera pas honteuse, c'est elle qui sera en accord avec lui et le relèvera, le guérira et l'aidera vers l'évolution. Ce n'est pas en pensant : « Parce que c'est une mauvaise habitude, ou parce que c'est une personne mauvaise et qui se trompe, je n'ai rien à faire avec elle ». C'est par notre attitude amicale, par notre sympathie, par notre compréhension que nous nous rapprochons de la personne.

 

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L'intuition

 

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