soufi-inayat-khan.org

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Désapprendre
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


 

Il est des plus difficiles d'oublier ce que l'on a une fois appris. Une chose est d'apprendre; une autre de désapprendre. Le processus de l'accomplissement spirituel passe par le fait de désapprendre. Les gens considèrent que leur croyance est leur religion. A vrai dire, la croyance est un marchepied vers la religion. En outre, si j'avais à représenter la croyance, je dirais que c'est comme un escalier qui conduit à une plus haute réalisation. Mais, au lieu de monter l'escalier, les gens restent là où ils sont. C'est comme une eau courante qui ne s'écoule plus. Les gens ont fait de leur croyance quelque chose de rigide; au lieu d'être avantagés par leur croyance, ils régressent. S'il n'en était pas ainsi, l'on pourrait penser que tous ceux qui croient en Dieu, en la Vérité et en l'au-delà, seraient meilleurs que les incroyants. Et ce qui arrive, c'est qu'ils sont pires parce qu’ils ont cloué leurs propres pieds à leur croyance.

Je me trouve bien souvent dans une situation où je peux dire très peu; surtout quand une personne vient à moi avec ses idées préconçues et désire que je la dirige, que je la guide dans le chemin spirituel. En même temps, sa première intention est de voir si ses idées concordent avec les miennes et les miennes avec les siennes. Elle ne peut se vider d'elle-même et s'abandonner à la direction donnée. Elle n'est pas venue pour suivre mes pensées, mais pour se confirmer à elle-même la justesse de son idée. Parmi une centaine de gens qui vient pour être guidée spirituellement, quatre-vingt-dix sont de la même eau. Qu'est-ce que cela prouve? Qu'ils ne veulent pas renoncer à leur idée, mais veulent avoir la confirmation que cette idée est juste.

Du commencement à la fin, l'accomplissement spirituel consiste à désapprendre ce que l'on a appris. Mais comment est-ce que l'on désapprend? Ce que l'on a appris est en soi-même. On peut le faire en devenant plus sage. Plus on devient sage, plus on est capable de contredire ses propres idées. Moins on est sage, plus on tient à ses propres idées. Dans l'être le plus sage, il y a la bonne volonté à se plier aux autres. Et la personne la plus stupide est toujours prête à se tenir ferme pour soutenir ses propres idées. La raison en est que la personne sage peut facilement abandonner ses pensées et celle qui est bête s'y accroche. Ainsi ne peut-il devenir sage: il s'agrippe à ses propres idées; c'est cela qui fait qu'il ne progresse pas.

La purification mentale est donc la seule méthode grâce à laquelle on puisse atteindre le but spirituel. Pour y arriver, l'on doit regarder du point de vue d'une autre personne. Car, en réalité, chaque point de vue est notre propre point de vue. Plus large on devient, plus grande est la réalisation que l’on obtient, plus on voit que chaque point de vue est bon. Si nous sommes capables de nous élargir jusqu'à la conscience d'un autre, notre conscience devient aussi large que celle de deux personnes. Et elle peut être aussi large que celle d'un millier de personnes si nous prenons l'habitude d'essayer de voir ce que pensent les autres.

Le pas suivant dans la purification mentale est d'être capable de voir le vrai du faux et le faux du vrai, et le mauvais du bon et le bon du mauvais. C'est une tâche difficile, mais une fois qu'on l'a accomplie, l'on s'élève au-dessus du bien et du mal.

L'on doit être capable de voir la douleur dans le plaisir et le plaisir dans la douleur; le gain dans la perte et la perte dans le gain. Ce qui arrive généralement est que l'on est fermé à une chose et que les yeux sont ouverts à une autre; que l'on ne voit pas la perte ou que l'on ne voit pas le gain; que si l'on reconnaît ce qui est bien, l'on ne reconnaît pas ce qui est mal.

La purification mentale signifie que les impressions telles que bon et mauvais, vrai et faux, gain et perte, plaisir et douleur, ces opposés qui bloquent le mental, doivent être déblayés par la vision de leur contraire. Alors l'on peut voir l'ennemi dans l'ami et l'ami dans l'ennemi. Quand on peut reconnaître le poison dans le nectar et le nectar dans le poison, c'est le moment où la mort et la vie deviennent une aussi. Les contraires ne demeurent plus comme des contraires devant vous. C'est là ce qu'on nomme purification mentale, et ceux qui en arrivent à ce degré sont les sages vivants.

Le troisième champ de la purification mentale est de s'identifier avec ce que l'on n'est pas. Par là, l'on purifie son mental des impressions de sa fausse identité.

J'en donnerai comme exemple l'histoire d'un sage de l'Inde. Cette histoire commence par raconter qu'un jeune homme, encore adolescent, demanda à sa mère qui était paysanne et habitait un village: "Quelle est la meilleure occupation, mère?". Celle-ci répondit: "Je ne sais pas, mon fils, sauf que ceux qui ont cherché après ce qu'il y a de plus haut sont allés à la recherche de Dieu" - "Alors où dois-je aller, mère?" - demanda-t-il. Elle répondit: "Oh, je ne sais pas si cela est praticable ou non, mais on prétend qu'il faut aller dans la solitude, dans la forêt." Il y partit donc pendant longtemps et vécut une vie de patience et de solitude. Une ou deux fois, dans l'intervalle, il vint voir sa mère. Parfois sa patience était épuisée, son cœur brisé. Parfois il était désappointé de ne pas trouver Dieu. Et chaque fois sa mère le renvoyait avec un conseil plus ferme. A la troisième visite, il dit: "Il y a maintenant longtemps que je suis là-bas" - "Oui - répondit la mère - maintenant je pense que tu es prêt à te rendre près d'un maître". Alors il alla voir un maître dont les disciples étaient nombreux. Chaque disciple avait une cellule personnelle pour y méditer. On dit aussi à ce disciple d'aller méditer dans une certaine cellule. Le maître lui demanda: “ Y a-t-il quelque chose que tu aimes dans le monde?”. Le jeune homme avait été éloigné de chez lui depuis son enfance; il n'avait rien vu du monde, il ne connaissait personne hormis la petite vache qui faisait partie de sa maison. Il répondit: "J'aime la vache de notre maison." Le maître lui dit: "Bien, pense alors à la vache dans ta méditation". Tous les autres disciples allaient et venaient, s'asseyaient dans leur chambre durant quinze minutes pour une petite méditation; ils se fatiguaient et s'en allaient. Mais ce jeune homme restait assis depuis le moment où le maître le lui avait dit. Après quelques temps, le maître demanda: “Où est-il?” Les autres élèves répondirent: “Nous ne savons pas. Il doit être dans sa chambre.” Ils allèrent voir. La porte était fermée, et personne ne répondait. Le maître s'y rendit lui-même, ouvrit la porte et vit le disciple assis en méditation, totalement absorbé en elle. Lorsque le maître l'appela par son nom, il répondit par le meuglement d'une vache. "Sors" - lui dit le maître. Il répondit: "Mes cornes sont trop grandes pour passer la porte." Le maître dit alors à ses disciples: "Voyez, c'est ici l'exemple vivant de la méditation. Vous méditez sur Dieu et vous ne savez où est Dieu. Il médite sur la vache et il est devenu la vache. Il a perdu son identité. Il s’est identifié à l’objet sur lequel il médite. ” Toute la difficulté, dans notre vie, est que nous ne pouvons pas sortir d’une fausse conception.

Je vous donnerai un autre exemple. Une fois, j’ai essayé d'aider une personne malade, qui souffrait de rhumatisme depuis vingt ans. Cette femme était au lit. Elle ne pouvait pas bouger ses articulations. J'allai près d'elle et lui dis: "A présent vous ferez telle chose et je reviendrai vous voir dans deux semaines. Lorsque je revins après deux semaines, elle avait déjà commencer à bouger ses articulations. Je lui dis que je reviendrai au bout de six semaines. Au bout de ces six semaines, elle sortait du lit et avait un espoir encore plus grand d’être guérie. Néanmoins, sa patience n'était pas aussi grande qu’elle aurait dû être. Un jour qu'elle était étendue au lit, elle se demanda si elle pourrait jamais être guérie. A partir du moment où elle eut cette pensée, elle revint à son ancienne condition, parce que son âme s'était identifiée avec un être souffrant. Elle ne pouvait voir son propre bien-être, elle ne pouvait imaginer qu'elle puisse être tout à fait rétablie. En voyant fonctionner ses articulations, elle ne pouvait en croire ses yeux, elle ne pouvait croire.

Les gens peuvent être bien dans leur corps, mais non dans leur mental. Ils s’accrochent très souvent à une maladie dont ils pourraient se débarrasser. Il en est de même pour la misère. Ceux qui sont conscients de la misère attirent la misère. Ils sont leur propre misère. Ce n'est pas que l'infortune s'intéresse à eux, mais qu'ils s'intéressent à l'infortune. L'infortune ne choisit pas les gens, ce sont les gens qui choisissent l'infortune. Ils maintiennent cette pensée et cette pensée devient leur. Lorsqu'une personne a l'impression qu'elle se dirige vers le bas, elle va en bas; sa pensée l'aide à sombrer.

C'est pourquoi ce troisième aspect de la purification mentale est de à pouvoir s'identifier avec quelque chose d'autre. Les Soufis ont leur propre manière de l'enseigner. Très souvent, l'on tient l’image de son maître spirituel; par cette image, l'on acquiert la connaissance, l'inspiration et le pouvoir que possède le maître spirituel. C'est tout à fait comparable à un héritage. (“ idea ”, dans le sens de personnalité, englobant à la fois l’image et tout ce qui vient du Maître.)

L'homme qui ne peut se concentrer à ce point où il s'oublie lui-même et plonge profondément en l'objet sur lequel il se concentre ne réussira pas à maîtriser la concentration.

Le quatrième aspect de la purification mentale consiste à se libérer d'une forme et à posséder le sens de l'abstrait. Toute chose suggère à l'œil une forme; à tel point même que si l'on mentionne devant nous le nom d'une personne que nous n'avons jamais vue, nous en faisons une forme. Même lorsqu'il s'agit de fées, d'esprits ou d'anges, aussitôt qu'on les mentionne, on les dépeint sous une certaine forme. C'est un empêchement à l'accession à la présence du sans-forme; et, par conséquent, cette purification mentale qui consiste à être capable de penser à une idée sans forme est d'une très grande importance. Il est sûr que l'on ne l'atteint qu'avec une grande concentration et méditation, mais une fois atteinte, elle est extrêmement satisfaisante.

Et la cinquième façon est de pouvoir reposer son mental; en d'autres termes, de relaxer son mental. Songez à quel point le corps a besoin de tranquillité après avoir travaillé toute la journée; et combien plus le mental doit en sentir la nécessité.

Le mental travaille beaucoup plus vite que le corps. En conséquence, le mental est beaucoup plus fatigué que le corps. Et tout un chacun ne sait pas comment reposer son mental et c'est pourquoi le mental n'a jamais de repos. Et ce qui arrive, après quelque temps, est que le mental s'affaiblit; il perd la mémoire, le pouvoir d'agir; il perd la raison. Les pires effets sont en grande partie la conséquence de ne pas avoir donné au mental un repos approprié. Si de telles infirmités que le doute et la crainte parviennent à entrer dans le mental, alors la personne devient agitée, elle ne peut jamais trouver de repos. Car, la nuit, le mental continue sur la lancée des mêmes impressions. Aussi simple qu'il paraisse, très peu connaissent le repos de l’esprit, et comme il est merveilleux en lui-même. Et quel pouvoir, quelle inspiration viennent en réaction de cela, et de quelle paix l'on fait par là l'expérience, et à quel point cela aide le corps et le mental! L'esprit lui-même est renouvelé une fois que le mental a eu son repos.

Le premier pas vers le repos du mental est la relaxation du corps. Si l'on est capable de détendre à volonté son système musculaire et nerveux, le mental est alors automatiquement reposé. Outre cela, l'on doit être capable de rejeter l'anxiété, les soucis, les doutes et les craintes, en se mettant dans un état de repos, à l'aide d'une respiration appropriée.

Un grand magnétisme est produit lorsque l'on a calmé et purifié le mental. Et l'absence de cela cause le manque de magnétisme. La présence de ceux dont le mental n'est pas purifié et calmé devient une source de malaise pour les autres aussi bien que pour eux-mêmes. Et ils sont peu attirants parce que leur pouvoir d'attraction est perdu; chacun est fatigué par leur présence, et leur atmosphère cause de l'inquiétude et de la gêne. Ils sont un fardeau pour eux-mêmes et pour les autres.

Une fois que le mental est purifié; le pas suivant est la culture de la qualité du cœur qui culmine en accomplissement spirituel. 

 

-oOo-

 

La purification

 

Présentation La Musique du Message Accueil Textes et Conférences Lexique
Accueil