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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LE BONHEUR

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

S'il y a une chose que chacun désire, c'est le bonheur. Chacun est à la recherche du bonheur sous une forme ou sous une autre et se plaint s'il ne le possède pas. Car chacun pense qu'il a droit au bonheur. Ceci est basé sur une vérité; le bonheur est en effet l'état naturel. Pour s'en rendre compte, l'on n'a qu'à s'observer soi-même: quand on n'a nul souci, nulle inquiétude, nulle préoccupation, rien devant soi qui vous sollicite, l'on verra qu'à ce moment l'on est toujours heureux.

La vie nous offre mille filets pour capturer le bonheur, tous les papillons du bonheur qui s'appellent le plaisir, l'intérêt, les joies et les satisfactions de la vie sous toutes leurs formes. Et l'on met un filet sur ce papillon qu'est le plaisir et l'on s'aperçoit que le bonheur s'est enfui. Les plaisirs ne peuvent pas nous le donner à coup sûr, ni les choses qui nous intéressent, ni la joie, ni les possessions, ni la satisfaction de l'ambition, de la situation sociale ou du rang.

Et puis il y a ceux qui ont éprouvé la vanité de ces moyens de saisir le bonheur, ceux qui cherchent à l'atteindre par le renoncement, la résignation, l'indifférence. Mais s'ils se forcent pour arriver à ces états d'esprit, ils ne seront toujours pas heureux. Et pourtant il est tellement vrai que le bonheur est notre état naturel! Il suffit que notre cœur ne soit pas troublé pour que le bonheur soit là. C'est ce qui nous livre le secret du bonheur: on l'obtient par l'accord du cœur. Si un être arrive à un tel état qu'il ne soit jamais troublé, il sera heureux. Il le sera en accordant son cœur à travers toutes les expériences par lesquelles l'existence le fera passer. Quelqu'un qui est troublé par le plus petit incident, par le plus petit désagrément vivra toujours dans l'inquiétude; le bonheur s'éloignera de ce cœur trop agité; l'oiseau du bonheur ne pourra y faire son nid. Mais s'il se met au diapason de tout ce qui l'entoure, il préservera non seulement sa tranquillité, mais aussi le bonheur qui lui est naturel. Si nous sommes si vite ébranlés que le moindre choc produise en nous une commotion, nous serons toujours inquiets, le bonheur ne sera jamais nôtre. Mais si nous pouvons regarder la vie avec courage, notre cœur gardera son aisance naturelle et notre âme se reflétera en lui.

Comment pouvons-nous accorder notre cœur? D'abord en maintenant notre tranquillité. C'est une chose bien difficile. N'est-il pas naturel d'être mis en émoi par toutes les circonstances qui nous heurtent, qui causent une tension d'esprit? Oui certes, c'est une condition naturelle à l'homme. Mais à mesure qu'il évolue, il peut éviter que les chocs ne le renversent. S'il ne se raidit pas contre l'impression que le choc a fait sur lui, il ne sera pas dévié de la voie qu'il suit, il continuera avec le mouvement qui lui est naturel.

Et puis le cœur doit s'accorder à un certain rythme, à un certain ton, selon les circonstances. Si la vie autour de nous est joyeuse et que nous soyons tristes, s'il y a autour de nous de la tristesse et que nous nous montrions gais, il y aura un désaccord. Ce n'est pas qu'il soit nécessaire de subir intérieurement toutes les circonstances qui nous entourent et de participer à toutes les conditions du milieu dans lesquelles nous nous trouvons, mais nous pouvons établir une harmonie entre notre état et l'état de ce qui nous environne, mettre en nous une vibration, trouver une attitude intérieure qui réponde aux circonstances comme à ceux qui nous entourent. Cela ne veut pas dire nous rendre passifs vis-à-vis de tout ce qui vient de l'extérieur, mais ne pas apporter une dissonance à ce qui nous entoure.

Si quelqu'un est agité, s'il est en colère et que nous restions calmes et froids, cela peut avoir sur lui un effet salutaire, mais parfois aussi cela peut avoir l'effet inverse: notre calme, notre froideur, notre indifférence peuvent l'irriter davantage. Ce n'est pas de rester froid en toutes circonstances qui est utile, c'est de comprendre et de sympathiser qui peut rendre service; c'est-à-dire d'établir un lien de sympathie avec la personne. Le cœur peut être accordé d'abord avec la situation qui nous est imposée par la vie et aussi avec ceux qui sont près de nous.

A mesure que l'on s'habituera à s'accorder ainsi, il s'établira en nous et autour de nous une atmosphère tranquille qui permettra au rayonnement intérieur de se projeter au-dehors, qui permettra au bonheur de passer et de se répandre tout autour de nous. Et à mesure que l'on accordera le cœur de cette manière, l'étendue de cette influence, de cette atmosphère de tranquillité deviendra plus vaste; et celui qui accorde ainsi son cœur finira par l'accorder avec la vie de l'infini.

Si l'on observe bien la vie, l'on se rendra compte que la chose la plus précieuse que nous ayons est notre cœur, que la chose la plus importante pour nous est l'état de notre cœur. Tout ce que nous possédons en dehors de nous-mêmes ne peut donner aucun bonheur si le cœur est bouleversé, malade, si le cœur est agité. Même tout ce que nous pouvons accomplir dans la vie ne nous apportera pas un rayon de bonheur si notre cœur n'est pas accordé à son bon diapason; on peut avoir fait de grandes choses, des choses très difficiles, mais si le cœur n'est pas ainsi accordé, il semble qu'elles soient comme des fleurs séchées, sans vie. Si le cœur vit, s'il sent, s'il a le bonheur qui lui est naturel, les situations difficiles deviendront supportables, même les souffrances pourront donner de la joie et les joies seront vivantes. Mais le pouvons-nous toujours? Et devons-nous toujours regarder avec calme les choses qui nous offusquent, qui nous offensent, nous indisposent? N'est-il pas naturel de se révolter contre elles? Les grandes âmes qui ont donné leur amour à l'humanité entière et que l'humanité a aimées ont toujours dit: "Ne vous révoltez pas, n'opposez au contraire aucune résistance, vous fortifieriez en vous le mal, vous lui donneriez toute possibilité pour s'accroître". Ce n'est pas dans la résistance au mal que la force d'un cœur se montre, c'est dans la fermeté, l'ardeur dans ce qu'il soutient, dans ce qui lui paraît désirable, beau, sans jamais l'abandonner, sans jamais dire: "C'est trop beau pour le moment, c'est trop précieux pour la vie telle qu'elle est". Une âme forte se montre en cela; elle est fidèle à ce qu'elle reconnaît comme bon, comme beau. En toute occasion elle porte en elle cette lumière, cette force, cette foi et cette confiance qui lui fera maintenir cette fidélité. Oui certes, la vie est une lutte, une lutte pour élever et pour maintenir ce que l'on adore, ce que l'on considère comme désirable, beau et parfait. Mais en nous opposant à un mal que l'on nous fait, l'on ne fait qu'accroître ce mal, que le fortifier. Blâmer quelqu'un, c'est d'abord fortifier en nous l'impression de la laideur de son action ou de son attitude; c'est ensuite l'accentuer en celui que nous blâmons. De plus, par là même, en donnant asile dans notre esprit à ce que nous ne voudrions pas voir, ne pas accepter, ne pas sentir, nous cachons à notre vue les choses belles que nous voudrions voir et qui nous donnent du bonheur.

Si quelqu'un désire rendre heureux les êtres qui lui sont proches et qu'il cherche les moyens extérieurs de leur apporter le bonheur, il fait certainement une excellente chose. Mais la toute première qui importe, c'est son attitude envers les autres. Ce qui vient avant tout pour apporter le bonheur, c'est la tolérance, le pardon, et puis la sympathie, la sympathie pour tous les aspects de la vie de ceux qui nous entourent. Si l'on a rendu un service d'ordre matériel à quelqu'un, c'est très bien; mais si l'on a toléré, si l'on a détourné les yeux des fautes qu'il a pu commettre, l'on a fait beaucoup plus pour lui, on lui a rendu un bien plus grand service. Si l'on a donné à quelqu'un les objets matériels qu'il désire dans la vie, on l'aura aidé, mais si l'on sympathise avec ses aspirations, si l'on admire ce qui est beau en lui, si l'on estime le mobile de ses actions, si on les accompagne de sa sympathie, l'on a fait beaucoup plus encore pour cet être. Aider quelqu'un, le servir et penser du mal de lui, c'est produire un désaccord. Ce n'est pas le moyen de donner du bonheur à ceux auxquels on veut rendre service.

Beaucoup de gens pensent que le sentiment est une très bonne chose. "Mais - disent-ils - je suis très porté vers l'action extérieure et je ne pense avoir fait quelque chose que si j'ai apporté une réalisation dans le domaine pratique". Bien plus important est de purifier son cœur de tout préjugé, de toute intolérance, de toute tendance à se moquer, à ridiculiser, de toute impatience à l'égard des autres.

Accorder de cette façon notre cœur, d'abord avec les circonstances de notre propre vie et avec tous ceux qui nous entourent, devient à la fin un accord avec la vie universelle et une union avec Dieu.

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