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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LE CHEMIN DE L'IDÉAL

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Parfois dans la vie, à certains moments critiques, il y a une question qui se pose à nous: à qui peut-on se fier?

 

Chaque âme, en commençant son chemin, est comme un petit enfant qui se fie à chaque objet qu'il voit devant lui. Le feu est un jouet qu'il voudrait prendre dans sa main, les petites feuilles vertes sur l'eau croupie d'une mare forment un gazon sur lequel il voudrait marcher. Pour chaque âme il en est ainsi quand elle est encore sans expérience. Puis vient pour elle le moment où ce qu'elle croyait être un terrain ferme cède sous ses pas, où l'objet qui lui paraissait si beau la brûle, et elle se demande: "Y a-t-il quelque chose de solide où l'on puisse s'appuyer, quelqu'un à qui se fier?". Quand les choses ne sont pas telles que nous voudrions qu'elles soient, quand les êtres humains n'ont pas répondu à notre attente, la déception est amère. Cependant c'est une déception que chacun est appelé à ressentir dans la vie. Mais chacun ne réagit pas de la même façon. Le premier mouvement d'un cœur manquant d'expérience, d'un cœur encore puéril lorsqu'il a connu une telle déception avec une personne est de se tourner vers une autre en se disant; "Si je n'ai trouvé que faiblesse, que mare d'eau mouvante au lieu du roc solide que je cherchais, un autre être me donnera cet appui, cette sûreté dans l'amitié que je n'ai pas trouvée". Mais celui dont les yeux de l'esprit sont plus ouverts, dont le cœur n'est pas aveugle, comprendra que telle n'est pas la nature de la vie. "Rien n'est comme je le souhaite" se dira t il "je ne peux nulle part mettre le pied sur un sol ferme; partout le terrain est prêt à s'écrouler; ce que je croyais beau et durable est beau un moment, puis cela change, la beauté ne s'y trouve plus".

 

Il se peut alors que l'amertume envahisse l'âme, il se peut que l'être blessé rentre en lui-même, ferme son cœur à toutes les impressions qui viennent du dehors et dont il craint de recevoir une blessure. C'est alors que le cœur devient froid; d'abord ce n'est qu'en surface, mais à la fin il s'endurcit; il ne vibre plus; et quelle valeur la vie a-t-elle lorsque le cœur ne peut plus vibrer à rien?

 

Heureux sont ceux en qui s'est éveillé tôt un idéal qui les élève au-dessus de cette vie en laquelle nous nous mouvons; un idéal qui la remplit du matin au soir, un idéal de l'Être Parfait au-dessus de ce monde. Et il vaut mieux pour eux, en effet, que cet idéal s'éveille tôt, parce qu'il est difficile de le créer plus tard. Il était facile de le faire quand l'être était encore malléable, alors qu'il n'avait pas encore reçu sa formation définitive.

 

Comment crée-t-on l'idéal de Dieu? Est-ce en disant: "Je me fie à Dieu; Dieu me donnera ce que je souhaite"? Mais est-il vrai d'affirmer que Dieu n'est que toute-bonté et miséricorde? Car alors les déceptions, les souffrances, d'où viennent-elles? Est-ce Dieu qui les envoie? Est-ce que nous les créons nous-mêmes? Telles sont les questions qui viennent à beaucoup d'esprits sincères lorsqu'ils commencent à vouloir s'élever vers l'idéal. Or si quelqu'un s'examine à fond, scrute son propre être, il dira: "Je vois en moi des bonheurs et des chagrins; je vois ce qui est sûr et ce qui est changeant, instable, incertain. Si Dieu existe, alors il m'envoie l'un et l'autre. Mais ce qui se trouve au fond de mon cœur, c'est ce désir de beauté qui y est toujours; c'est ce désir, cette aspiration vers la beauté. Et s'il y a quelque chose qui brise mon aspiration, qui l'empêche de persister, c'est que rien n'y répond, que rien ne correspond à ce que j'avais tracé dans mon esprit. Malgré cela le désir de beauté, de bonheur, est toujours dans mon cœur et rien de ce qui arrive ne peut le faire disparaître entièrement. Je sens même que le faire disparaître, ce serait un suicide, ce serait impossible".

 

S'il y a quelque chose qui permet d'atteindre le vrai secret de la vie, c'est de se plonger dans cette aspiration vers la beauté, dans cette aspiration au bonheur qu'on appelle l'idéal. Celui qui maintiendra devant lui cet idéal de beauté, cette conception de beauté, non pas en rêveur qui pense à ce qui est irréalisable, mais en idéaliste qui permet à cette beauté de s'épanouir en dedans de lui, sera heureux du seul bonheur qui puisse exister en cette vie. Si nous fixons nos yeux sur ce que nous avons idéalisé, cela croîtra, s'étendra, deviendra plus profond, plus vivant, se manifestera davantage à nos yeux, à notre cœur, à notre esprit, à notre âme. Au contraire si nous nous arrêtons aux heurts, aux blessures de la vie, nous ne verrons plus que tristesses et laideurs. C'est un chemin à parcourir, c'est une voie. Le paradis consiste en cette beauté que nous-mêmes cherchons, créons, maintenons en la gardant dans notre âme, en la faisant s'épanouir dans notre cœur. Il n'y a pas d'autre paradis que celui-là.

 

Il y a aussi une attitude qu'une âme peut être tentée de prendre, une expérience qu'elle est tentée de faire lorsqu'elle se rend compte que la vie lui apporte des déceptions dans ses amitiés, ses relations avec les autres, c'est de décider: "Je vais dominer la situation; je rétablirai cette amitié, je la rendrai ferme, j'éliminerai entre nous toute pensée d'antagonisme, de mauvais vouloir". C'est une belle attitude, un beau projet, mais quelle présomption! L'expérience nous fera connaître en cela notre propre imperfection encore mieux que celle des autres. Comme il est dit dans le Vadan:

Aucune prétention, aussi grande soit-elle, ne peut t'égaler mon moi mystérieux;
Pourtant il se peut que tu ne te montres pas digne
de la plus mince déclaration que tu aies faite.

 

Notre moi n'est ni meilleur ni plus mauvais que d'autres. Seulement il est notre territoire, notre royaume, et c'est en lui seulement que nous pouvons amener l'état que nous voulons, plutôt que dans le moi des autres. L'influence que nous pouvons avoir sur les autres est petite, mais sur nous elle est infiniment grande. Et c'est en ce moi que nous pouvons faire les plus grandes découvertes, que nous pouvons trouver cette étincelle divine qui est cachée dans toute âme, et que nous pouvons la faire croître.

 

Cependant l'idéalisme est-il un but en lui-même? Non pas. C'est un chemin à parcourir; c'est un chemin qui rend la vie heureuse au lieu de la laisser devenir par notre négligence et par l'absence de cet idéal une chose malheureuse et pleine de déceptions.

 

Dans ce chemin l'âme commençante, le cœur débutant est comme quelqu'un qui, voyant un beau jardin, y admire les fleurs et les fruits mais n'apprécie pas beaucoup les arbres qui ont perdu leurs feuilles ni les fleurs qui sont fanées. A mesure que la vision s'élargit, les mêmes choses qui semblaient dépourvues de beauté en gardent pourtant le reflet. L'arbre n'est pas seulement beau quand il a revêtu son feuillage au printemps ou quand en été il nous abrite du soleil; il est beau en automne, en hiver; il est beau dans sa maturité, dans la promesse de son printemps et aussi quand il perd ses forces. Si on veut la regarder ainsi, la vie entière est belle, mais si on ne le veut pas, la chose la plus parfaite montre son point noir: elle ne dure pas.

 

Il dépend de nous non seulement d'accepter la vie dans tous ses aspects et toutes ses phases, mais encore de l'aimer. Si l'on cherche ce qui est nécessaire dans la vie, ce n'est pas la confiance, c'est l'amour. Quand on aime quelqu'un, on accepte ses défauts.

 

Il n'en est pas autrement dans la relation de l'âme avec Dieu. L'amour de la vie fait que tout y paraît beau. L'amour de Dieu fait que les coups que Dieu pourra nous donner, les malheurs que Dieu pourra nous envoyer sont non seulement acceptés mais que nous parvenions à les trouver beaux en eux-mêmes.

 

Une personne disait à Murshid (Inayat Khan): "Je suis indifférente à la douleur physique, il m'est égal d'en souffrir. Mais à présent j'aimerais arriver à l'état où la douleur morale me serait indifférente". L'état de sainteté semble en effet un état où les êtres seraient indifférents, comme insensibles. Au contraire les êtres saints sont infiniment sensibles. Mais pour eux la douleur et le bonheur sont une seule et même chose, c'est l'expérience par laquelle ils doivent passer.

 

Il n'y a qu'un seul moyen grâce auquel l'âme puisse sentir ainsi, c'est l'amour de la vie dans son ensemble, de tout ce qui est, c'est l'acceptation dans laquelle il y a une joie. Quand Pir-o-Murshid (Inayat Khan) souffrait terriblement, il disait: "Ce sont des rayons, des lueurs de Sa Miséricorde". Ces mots faisaient sur moi une très grande impression. A l'époque, je ne les comprenais pas pleinement. Mais on peut comprendre par là que, dans la pleine Miséricorde Divine, dans la Grâce, dans l'Amour en sa plénitude, ces expériences sont les rayons atténués de la Miséricorde et de la Grâce. Et puis chaque souffrance est une purification. L'âme qui l'accepte reconnaît cette vérité. Dieu lui accorde bienfaits ou souffrances; ces dernières sont les expériences ardues par lesquelles il faut passer. Ce sont les unes et les autres différentes phases de l'amour de Dieu.

 

Cette purification par la souffrance est aussi un très grand don. L'on peut comprendre ainsi pourquoi le saint baise les mains qui lui jettent des pierres, il y voit les mains de son Dieu qu'il adore.

 

Mais s'il est un chemin qui mène à l'accord parfait avec Dieu, c'est la voie qui consiste dans le désir constant de la beauté au fond de notre cœur, qui consiste à garder toujours vivante cette plante de la beauté, ce sentiment d'amour envers une beauté parfaite. C'est cela qui peut projeter ses rayons sur le chemin de la vie et en faire un chemin de beauté et de bonheur.

 

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Le Chemin de l'Idéal

  L'aspiration

 

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