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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LE LANGAGE COSMIQUE

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Dans l’univers, en réalité tout parle, mais il faut savoir l’entendre.

 

D’habitude nous ne percevons de langage que celui des mots que nous prononçons et entendons prononcer, cependant tout ce qui existe, chaque être, chaque chose, a son langage qui lui est propre. Il n’y a pas d’objet, pas de lieu, pas d’être vivant, qui n’ait son langage pour communiquer ce qu’il sent et ce qu’il est. Mais quelle est la nature de ce langage? Ce langage consiste tout d’abord pour chaque chose à exprimer ce qu’elle est, ensuite à parler de son passé, de son présent et de son avenir.

 

Nous appelons "langage" les mots que nous prononçons, et il nous semble que ces mots rendent les choses claires; tout ce qui ne peut s’exprimer par des mots nous paraît nébuleux, nous semble posséder éventuellement un certain sens, mais qui n’a rien d’un sens précis. Nous avons tellement pris l’habitude des mots que chacun les considère comme le seul moyen d’exprimer ce qu’il voit comme ce qu’il éprouve ou ce qu’il pense. Il est certain que le langage possède un sens précis et qu’il le gardera. L’on peut remarquer pourtant que les mots écrits nous disent beaucoup moins que les mots parlés. Ils ont perdu le ton de la voix, le magnétisme de l’être dont ils émanent, le rythme avec lequel ils ont été dits. Le langage parlé possède un charme, une vie, que l’on ne sent pas dans le langage écrit. C’est la même différence qui existe entre la pensée et le sentiment. Si nous percevons la seule pensée d’un être humain, et que nous comparons cela à un sentiment qui nous remplit, la première nous paraîtra peu de chose. La pensée que nous percevons peut éveiller notre intérêt, peut éventuellement nous faire réfléchir, mais elle nous paraît terne, incolore, à côté du sentiment, de l’impression, de l’image, qui nous touchent et nous influencent de bien autre manière. C’est que les mots que l’on entend ou que l’on lit, les pensées que l’on énonce, viennent de l’esprit et s’adressent à l’esprit, mais les sentiments ont un langage qui parle au cœur. Quant à l’âme, elle a aussi son langage et ce langage s’exprime dans l’atmosphère d’un être.

 

Le langage de l’esprit s’exprime par des mots parlés ou écrits, avec toutes leurs nuances, leur sens subtil ou précis; le langage du cœur s’exprime par les larmes, le rire, le sourire, la chaleur ou la froideur qui émane d’une personne, mais le langage de l’âme est indéfinissable, on ne pourrait l’expliquer; c’est quelque chose qui élève, qui peut illuminer, et pourtant les mots ne sauraient dire ce que c’est.

 

Cependant ces aspects du langage ne sont pas les seuls. Chaque créature, chaque chose, a son langage particulier. Des millions d’êtres humains peuvent bien parler la même langue, il n’empêche que chaque âme, chaque nature, a sa particularité qui se traduit par un langage qui lui est propre. Et pourquoi tout parle-t-il? Parce que tout est intelligence. Ce ne sont pas seulement les hommes et les animaux qui ont ce privilège. Tout est conscience qui vibre, et cette vibration qui émane de toute chose est reçue par ce qui sent, c’est-à-dire par tout ce qui existe. Nous appelons inanimés les rocs, les plantes, mais eux aussi sentent; la science commence à s’en apercevoir. Tout réagit à des impressions. Cette conscience existe à l’état latent même dans le roc, même dans les substances qui nous semblent inertes. Le grand savant Jagadish Chandra Bose a démontré que les plantes répondent aux soins qu’on leur donne. Elles réagissent différemment avec différentes personnes. Des fleurs se faneront plus vite entre les mains des uns, elles dureront longtemps entre les mains des autres. Il en est de même des pierres. Il est reconnu que des pierres fines ou précieuses "meurent" quand certaines personnes les portent; ainsi les turquoises changent de couleur à leur contact; une pierre peut changer selon les dispositions d’une personne. Tous ces phénomènes sont dus à l’influence des vibrations.

 

Chaque être et chaque chose disent d’abord ce qu’ils sont. Toute personne peut voir qu’une fleur est une fleur, bleue, rose ou blanche; elle peut voir de quelle fleur il s’agit, car chaque être et chaque chose peuvent dire d’où ils sont venus. Pourtant la nature intérieure, le secret de chaque chose, sont connus de peu d’individus. Tous ceux qui ont des yeux peuvent voir qu’un certain arbre est verdoyant, mais pour ceux qui voient plus profondément, l’arbre dit: "Je suis le bonheur, la beauté, l’effort vers la perfection, la joie de vivre". Ces choses, les poètes les sentent, mais quelqu’un qui n’est pas habitué à exercer son esprit dans ce sens dira du poète: "Pourquoi prétend-il cela? Il ne fait qu’imaginer d’après sa fantaisie". Il ne comprend pas qu’un cœur éveillé voit la nature profonde.

 

Les fleurs, les pierres, toutes les choses de la création, disent aussi d’où elles sont venues, pourquoi elles ont telle forme ou telle couleur. Elles sont de cette façon capables de donner une explication presque scientifique de leur être. Et il en est ainsi non seulement pour les choses, mais aussi pour chaque être.

 

Il est certain que la perception varie beaucoup selon les gens. Quelqu’un qui n’est pas habitué à observer, dont la perception n’est pas éveillée, dont le cœur dort, dira: "J’ai vu tel individu grand ou petit, blond ou brun". Une personne dont le cœur est éveillé verra l’état d’esprit de ceux qu’elle rencontre, elle saura si quelqu’un est passé par telles expériences; son intuition lui dira que telle personne réservée a un secret ou va vers une certaine épreuve. Quant à ceux qui sont habitués à lire profondément dans la nature, ils verront non seulement les conditions présentes d’un être, mais mille pensées leur viendront concernant aussi son passé et son avenir, et ce ne seront pas des choses imaginaires. Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan, lorsqu’il avait devant lui une centaine de personnes, lisait ainsi en chacune d’elles.

 

Ne pas voir, cela est-il pour certains un simple défaut d’observation? Observer n’est pas la condition unique pour voir. Plus l’on est éveillé intérieurement, plus l’on est capable de sentir et de voir. Si seuls les yeux physiques sont capables de voir, l’on verra la forme des êtres, des lieux, des objets, sans savoir ce que signifient ces lieux, ces êtres, ces objets. Quelqu’un qui ne connaîtrait pas l’emploi d’un instrument scientifique verra qu’il est fait de verre, d’acier ou d’un autre métal, mais son esprit n’ira pas plus loin. De même en est-il pour les êtres: celui dont l’esprit est éveillé se rendra compte des capacités de ceux qu’il a devant lui, de leurs aptitudes, et celui qui est éveillé plus profondément voit ce qui vit dans le fond d’autrui, et peut entrer en communication avec la conscience des choses, ce qui lui dira tout sur les êtres et les lieux.

 

Chaque pensée et chaque sentiment créés dans le cœur humain ont leur vie. Ils existent là où ils ont été pensés et sentis; ils passent à travers l’espace; ils vont à ceux vers lesquels ils ont été dirigés. Ce sont des êtres vivants. Qu’est-ce qui leur donne la vie, leur fournit la possibilité de se diriger vers tel ou tel lieu? C’est ce que les mystiques nomment le souffle. Par là ils n’entendent pas le souffle inhalé et exhalé, le simple acte respiratoire, mais la vibration qui est la vie de tout l’univers, dont les ondes sont non seulement la vie de chaque être, de chaque chose, mais aussi de chaque pensée et de chaque sentiment.

 

Toute chose, tout être grave son impression sur ce qui l’entoure. C’est pourquoi chaque lieu possède son influence propre, résonne à un certain ton, dit quelque chose, a son effet sur nous. Cela explique pourquoi des lieux ont été considérés comme sacrés. Ce n’est pas parce que les autorités religieuses les indiquent comme tels, mais parce que la pensée des êtres saints qui les ont fréquentés continue à vibrer dans ces lieux. Il peut arriver que quelqu’un se trouvant dans un endroit où il y a eu des luttes se sente agité, inquiet, qu’il se sente l’esprit batailleur; ce n’est peut-être pas dans sa vraie nature, mais ce sont les restes des vibrations demeurant dans cet endroit qui se reproduisent en lui. Ceux qui sont sensibles peuvent savoir ce qui s’est passé dans des lieux tristes ou joyeux. Ce langage est écrit sur tout ce qui existe, parfois si profondément gravé, si clair, si vivant, que ses effets étonnent tous ceux qui les rencontrent. Il arrive que l’on en parle dans les journaux, et trois jours après le public l’oublie, mais ce sont les manifestations de forces cachées. L’on a beaucoup parlé par exemple du tombeau de Toutankhamon, et l’on en parle encore aujourd’hui; et l’on a constaté que lorsque les avions passent au-dessus de la Vallée des Rois, souvent leur radio s’arrête. Il est possible que l’on en trouve une explication scientifique, mais la cause, la vraie raison, est autre.

 

Ceci indique que chaque lieu a son influence à lui; ceci nous donne en outre un aperçu de la grande importance de chaque pensée, de chaque activité des êtres humains. Il n’y a rien qui ne se passe sans avoir quelque effet, quelque résultat; chaque pensée, sentiment ou action, vit un temps plus ou moins prolongé, et chaque homme est responsable des effets qu’il crée et qui pourraient persister plus longtemps qu’il ne le veut. Sachant cela, un être doué de discernement, de bonne volonté, peut désirer créer de bons effets. Afin de créer des effets qui dureront longtemps, il faut une concentration profonde jointe à l’ouverture des sens intérieurs.

 

Il ne suffit donc pas de venir sur terre avec un corps qui peut toucher tout ce qui appartient au monde extérieur; pour vivre vraiment, il faut s’éveiller intérieurement. Souvent c’est le contraire qui se produit chez nous. Les dures influences de la vie durcissent notre cœur qui ne sent rien ou presque rien des influences plus subtiles, et cela vient aussi d’une vie trop active: nous n’avons pas assez de temps pour dormir et le cœur n’a pas non plus la tranquillité qu’il lui faudrait pour s’épanouir et se développer. Pour devenir pleinement humain, il faut pouvoir sentir pleinement. L’homme n’est pas né avec son seul corps physique, il est né avec son esprit, avec des qualités angéliques, et cet esprit, ces qualités, ne sont pas faits pour être enterrés, pour être cachés par la densité de la terre. S’ils s’engourdissent, c’est à lui de les réveiller; il doit leur donner la tranquillité dont cet esprit, et surtout ces qualités angéliques, ont besoin; il doit rendre sa pensée harmonieuse en contemplant l’harmonie; il doit développer sa volonté pour la diriger où il veut, pour pouvoir se gouverner lui-même, accumulant les forces qui existent en lui, entrant en communication avec le monde intérieur, ouvrant enfin ce tombeau qu’est pour lui le corps physique. Alors l’âme sortira de sa prison et ce sera un grand bonheur.

 

Des mythes religieux ont représenté l’âme après la mort comme un papillon naissant de sa chrysalide; pourtant il n’est pas nécessaire d’attendre ce moment pour une telle naissance. Quand le corps ne réagit qu’aux impressions physiques, il n’est qu’à moitié vivant. Pour le devenir pleinement, les mystiques disent - d’après leurs expériences - qu’il faut éveiller les centres psychiques situés à l’intérieur de l’homme. C’est par le souffle que l’on réveille ces centres psychiques. En le développant, en le dirigeant, on donne vie à ces centres qui sont comme des cavernes au milieu d’une montagne où l’air ne pénétrerait pas. Ces centres sont comme des cavités vides dans le corps, mais s’ils sont bloqués par l’effet d’une matière dense, le souffle ne les pénètre pas. Si l’on parvient à débloquer les canaux qui mènent à ces centres, le souffle passe, amenant une communication entre le monde extérieur et le monde intérieur. Alors l’être devient vivant, l’être connaît la vie. Chacun pense qu’il connaît la vie, mais la connaissance est-elle un simple jeu de l’esprit? Ou résulte-t-elle d’une simple étude, de quelques expériences? Non pas. Les erreurs que nous commettons sont là pour nous rappeler notre ignorance de la vie. Nous étudions mille choses, et nous ignorons la vie. Il y a des milliers de gens qui ont beaucoup écrit et qui ne connaissent pas la vie; et il y en a d’autres qui n’ont écrit aucun livre et qui ont observé au-dehors et au-dedans d’eux-mêmes, et qui connaissent la vie. Ceux-là deviennent capables de faire à chaque moment l’expérience de la vie. Ils se rendent compte des mouvements de chaque âme, ils savent ce qui s’est réellement passé, ils connaissent ce langage cosmique, ils le lisent sur chaque chose, sur chaque pierre, sur chaque être, et dans l’âme aussi ils le lisent. Ils comprennent ce que veut dire ce langage. Ils lisent dans le monde intérieur et sentent ce qui se passe sur la terre.

 

C’est une chose très importante de connaître la vie. La lecture des livres est presque inutile; la lecture de la vie ne s’acquiert que par l’expérience. Si l’on n’a pas éprouvé intérieurement une chose dans sa propre personne, on ne la connaît qu’à moitié.

 

L’un des plus grands désirs du cœur humain, c’est la connaissance. Toutes les créatures qui existent voudraient savoir, connaître. Voyez les oiseaux, les animaux, comme ils sont curieux! Un oiseau s’approche d’un objet pour le voir de tous les côtés; un animal risque sa vie, sort du trou où il était caché pour voir. Chez l’homme, cette tendance est plus développée encore; dès qu’il sait un peu parler, l’enfant demande: "Pourquoi?", et si l’on cesse de poser cette question plus tard, c’est parce que l’esprit est surmené, ou la réponse décevante.

 

Et c’est une grande joie de connaître, de comprendre, car c’est l’un des plus profonds désirs de l’être humain. Ce désir se réalise quand on sait lire le langage cosmique, quand, par exemple, l’on comprend non seulement le mouvement des planètes, du soleil, de la lune, mais aussi leur nature et leur langage, quand on sait pourquoi il y a des différences entre elles, quand on sait pourquoi les êtres s’unissent, et quelles sont les causes des effets que nous voyons, et les effets des causes. Une telle vision est rare. Ainsi lorsque des hommes politiques s’unissent pour prendre des mesures d’État, il est rare de voir quelqu’un en connaître les effets. De même un médium dira: "Vous pourriez essayer tel traitement", ou bien: "Ce médicament vous fera peut-être du bien". Presque pour chaque entreprise on tâtonne, mais celui qui sait est rare.

 

Djalal-ud-Din-Roumi dans son Masnavi parle de la différence qu’il y a entre connaître de seconde main une chose apprise et la connaître directement par sa propre expérience. Il dit que la première sorte de connaissance est une chose morte; celui qui a accumulé une masse de connaissances porte sur ses épaules un fardeau, mais la chose que l’on a éprouvée soi-même est vivante. Roumi ne veut pas décrier les livres; lui-même en a écrit un fort long. Il affirme que la connaissance de ce livre deviendra un trésor précieux, mais que c’est l’expérience des choses qu’il y décrit qui éveille cette connaissance.

 

L’expérience du mystique est de s’éveiller à tous les aspects de la vie. Il atteint cette expérience par l’éveil des centres intérieurs qui existent en chacun de nous, dont nous ne pouvons nous servir parce qu’ils sont endormis, mais qu’il est possible de réveiller en leur donnant la vie.

 

Le mystique cherche à connaître ce langage cosmique, il désire trouver l’illumination de son âme. C’est par cette expérience, par le pouvoir de compréhension, de communication qu’elle apporte, qu’un être devient capable de sympathiser avec son prochain: s’il ne le comprend pas, il ne pourra pas sympathiser avec lui.

 

C’est en quoi la connaissance du langage cosmique permet d’aider les autres.

 

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