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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


L'HARMONIE
AVEC LES AUTRES

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

L'harmonie est un principe, une idée, que certaines personnes suivent naturellement dans leur vie, et que d'autres négligent complètement.

 

Mais en quoi consiste l'harmonie? Elle consiste à plaire aux autres. On peut certes comprendre cela de différentes façons. On peut souhaiter par exemple plaire pour sa satisfaction personnelle, pour sa propre vanité, pour que l'on dise: "Quelle charmante personne, quelle âme d'élite!". Et l'on pourrait penser que cette vanité n'est pas souhaitable.

 

Or, à proprement parler, plaire à un être est la condition d'une vie harmonieuse. Il y a des circonstances où l'on est dans son bon droit, où l'on agit selon les meilleurs principes, mais si l'on ne fait pas attention à ce principe d'harmonie qui est de plaire aux autres, tous les efforts tomberont, tout sera inutile. Au contraire, nous savons bien que si nous réussissons à plaire à quelqu'un, il passera facilement sur les petites aspérités de notre caractère ou de notre relation avec lui, et que nous arriverons à un accord. C'est là la première condition avec les amis comme avec les ennemis, avec les enfants comme avec ceux qui ont le même âge que nous: si on leur déplaît, rien n'ira bien. Par exemple, si on donne des enfants à garder à une personne avec laquelle ils ne s'entendent pas, même s'ils sont naturellement sages, ils deviendront difficiles. Si un maître d'école ne plaît pas à ses élèves, la classe sera turbulente et désobéissante.

 

Bien souvent cependant les gens se disent: "Il suffit que je fasse les choses comme elles me semblent bonnes, parce que j'ai raison, et les autres n'ont qu'à comprendre!". Mais les autres ne sont pas prêts à comprendre. Il y a autant de points de vue que d'individus. Et même, à part ceux qui voient les choses autrement que nous les voyons, il y a aussi ceux qui voient ces choses d'un point de vue plus élevé; ils peuvent voir les choses comme nous les voyons nous-mêmes, mais leur vue s'étend plus loin et va plus au fond de ces choses. Si nous voulons qu'ils adoptent notre vision, nous nous privons d'élargir la nôtre. Et puis il y a ceux qui voient moins bien, et si nous voulons les amener à voir comme nous, ils ne le peuvent pas.

 

Et chacun a aussi ses moments d'aveuglement: les choses peuvent être claires comme le jour, mais à certains moments c'est comme si un rideau s'abaissait et on ne les voit plus; et cet état d'esprit peut durer longtemps.

 

Plaire aux autres demande de petits sacrifices continuels, et quelques fois aussi de grands sacrifices. Il faut sans cesse mettre de côté ses propres dispositions d'esprit, il faut se plier sans cesse, regarder les choses du point de vue de l’autre, ou du moins essayer, car ce n'est pas toujours possible sur l'instant, essayer de comprendre les choses de ce nouveau point de vue, comme l'autre les voit. Il se peut que cela nécessite un grand sacrifice, pourtant c'est la seule condition pour vivre en harmonie.

 

Plaire aux ennemis est beaucoup plus important que de plaire à un ami. Je ne veux pas dire qu'il faut déplaire aux amis, mais l'amitié passe sur bien des choses. Au contraire l'ennemi est là qui attend la mouche, qui est prêt à voir la moindre petite ombre, le moindre accroc dans la doublure de notre vêtement: il faut beaucoup de sagesse pour lui plaire.

 

Parfois il arrivait dans la vie de Pir-o-Murshid que quelqu'un venait le voir; cet étranger arrivait avec des dispositions hostiles, avec son point de vue religieux étroit. En entrant dans la présence de Murshid il changeait, et quand il sortait ce n'était plus un ennemi pour lui.

 

Il faut changer les ennemis qui sont en nous-même en amis. Ces ennemis sont: la colère, le mécontentement, la jalousie, l'envie, la suspicion, la faculté à croire le mal, la facilité à accepter les suggestions, la faiblesse envers nous-même. Quand ces ennemis sont devenus des amis, nous avons accompli le premier stade vers la capacité de changer en amis ceux qui ne nous sont pas favorables. Par exemple, notre colère; c'est un ennemi qui nous fait du mal, qui met, pour ainsi dire, intérieurement le feu à notre maison, qui nous entoure de nuages de fumée qui nous suffoquent et qui nous crée des ennemis extérieurs. Mais si nous nous raisonnons, si nous nous disons: "Oui, tu vois la chose de tel point de vue. Mais vois-la maintenant du point de vue de ma patience, de ma mansuétude", nous commencerons à désarmer cette ennemie, notre colère. Ces êtres contre lesquels vous vous êtes mis en colère, ces êtres qui vous ont mécontenté, ne sont pas si fautifs que vous les voyez; et si même ils ont commis des fautes, c'est la conséquence de leur tempérament, de leur éducation, de leurs habitudes. Voyez ces impressions défavorables avec patience, tâchez de pénétrer au-delà de la surface; ne mettez pas votre main sur des épines; si votre main vous fait mal vous êtes déjà agacé et votre vision est troublée; cherchez plutôt à voir clair, cherchez à comprendre.

 

Et puis, il y a la trop grande facilité à accepter les suggestions. C'est une grande ennemie. Ces suggestions peuvent venir de nous-même, de notre propre esprit; lorsqu'il réagit par exemple avec mauvaise volonté à un certain état de choses, il nous suggère des idées qui ne nous aident pas, qui ne résoudront pas pour le mieux la situation. Ces suggestions peuvent aussi venir des autres. Si je les accepte passivement, c'est alors quelqu'un d'autre qui régit mon esprit et dont je dois accepter les idées sans examen. Certainement il est bon d'être réceptif envers tous les points de vue que l'on nous présente, il est bon de recevoir les idées en les regardant du point de vue de celui qui les exprime, mais il n'est pas bon de les avaler sans examen; il n'est pas bon de les adopter sans se demander si ce que l'on entend dire est vrai, ni sans savoir pourquoi telle personne affirme telle chose. Car très souvent il ne s'agit que de suppositions, d'opinions sans beaucoup de fondement, qui sèment le doute, le soupçon. Et la facilité à accepter la suggestion agit alors à notre détriment, elle fausse nos idées, elle change nos dispositions d'esprit et, en outre, elle nous affaiblit.

 

Le doute, le soupçon, sont de grands ennemis. Ils empêchent le courant entier de la vie de circuler dans le coeur et dans le corps humain, ils sèment la confusion dans l'esprit. Comment dans ces conditions établir une harmonie avec les ennemis? Le mieux, au contraire, est de prendre les circonstances dans lesquelles nous sommes impliqués par le bon côté, d'être optimiste - mais optimiste avec les yeux ouverts - en gardant le désir de changer les ennemis en amis. Nous serons alors capables de mieux dominer la situation, d'avoir la vision claire et profonde qu'il faut pour changer ceux qui ne sont pas nos amis en des êtres qui peuvent au moins nous tolérer. Il y a de la bonne volonté chez tous les êtres et il nous faut comprendre que c'est cette même bonne volonté, c'est cet amour du bien et du beau qui crée l'antipathie, la colère même. Parce que si un être ne trouve pas dans un autre ces bonnes et belles qualités, ce bien qu'il cherche, cela l'indispose: ces belles qualités devraient être là et on l'en prive, on lui présente une laideur; il en est très mécontent et par la suite il commence à supposer que cette laideur existe en tout chez l'autre personne.

 

Maintenant, si l'on peut changer la direction de cet amour du bien et du beau, si l'on peut souhaiter non pas en recevoir mais en rayonner, c'est tout ce qu'il faut pour le bonheur de la vie. Ainsi que nous le lisons dans le Gayan:

Heureux celui qui fait du bien aux autres,
Et malheureux celui qui attend du bien des autres.

 

C'est extrêmement difficile. Ceux qui y parviennent, sont les âmes pures qui gagnent tous les cœurs, mais celles-là ont beaucoup à souffrir. Évidemment, on ne peut pas commencer par-là; il y a une phase dans la vie où la réciprocité doit être pratiquée. Mais nous ne devons pas penser que c'est une phase élémentaire, ni qu'elle n'a plus sa place quand l'être commence à s'élever. C'est pas à pas que l'on s'élève plus haut dans l'idéal de la réciprocité. Quelle belle pensée a prononcé à ce sujet Pir-o-Murshid en 1926 quand il a dit: "Si le Soufi a constamment devant lui cet idéal de la réciprocité, il comprend qu'il s'agit de ne pas rendre un coup pour un coup, une négligence pour une négligence". Il voulait dire par là: rendez seulement le bien qui vous arrive, non le mal. C'est difficile, car ce qui vient des autres, surtout en paroles, est parfois dure à supporter. Les paroles agissantes, en mal comme en bien, partent du cœur, et notamment de cette part du cœur à laquelle nous ne résistons pas; nous n'y résistons pas quand elles viennent de notre propre cœur, elles en sortent pour ainsi dire d'elles-mêmes; et ces paroles-là frappent de la même façon notre cœur quand c'est nous qui les recevons. Ainsi, il peut arriver que nous entendions dix fois des paroles malencontreuses qui nous blessent, et puis une fois seulement une parole qui ne nous blesse pas. C'est pourquoi un cœur vigilant veille pour ne pas manquer de rendre le bien pour le bien. Il pense que s'il ne le fait pas, c'est une grande perte. Il pense: "Par telle personne j'ai été profondément blessé, mais si elle sourit, qu'est-ce en comparaison de tout ce qu'elle m'a fait? De cela je me détourne".

 

Cela ne veut pas dire que nous devons être naïfs. Une hirondelle à elle toute seule ne fait pas le printemps; un moment de changement d'humeur d'un être difficile dans ses rapports avec nous ne veut pas dire que nous devions lui ouvrir notre cœur tout entier et nous mettre en son pouvoir. Il faut seulement veiller comme veille un cadran solaire pour marquer les moindres rayons du soleil, mais ne pas oublier le passage des nuages.

 

Il y a aussi un côté spirituel à ce sujet. Plus on étudiera la vie, plus on deviendra sensible au côté important des choses, plus on verra à quel point les êtres humains agissent non pas selon la réflexion et l'égalité d'esprit, mais selon leurs sentiments; à quel point ils mettent un voile sur ce qui n'est pas en accord avec leur sentiment intérieur. Par conséquent si quelqu'un pense: "Cette personne a raison en tout ce qu'elle dit, cependant elle ne me plaît pas", ce sera un grand obstacle à toute possibilité d'harmonie. Au contraire si un être a gagné notre sympathie, il pourra avoir les idées les plus saugrenues, nous le supporterons avec patience. Nous dirons peut-être: "Non, de tout ce qu'il raconte, je ne peux pas dire que j'en rêve, mais il a un côté sympathique", et cela établira une touche d'harmonie. Ce qui nous prouve que pour nous mettre en accord avec les autres, il faut d'abord qu'ils soient satisfaits de notre attitude, de notre bonne disposition à leur égard. Et ce n'est pas trop de faire tous les efforts et tous les sacrifices pour contenter même des êtres qui ne semblent pas mériter le moindre effort de notre part.

 

Ceux qui ont fait la plus grande impression sur l'humanité ont toujours pratiqué ces principes. Et ceux qui n'y ont point pris garde ont peut-être régné par la puissance, mais, comme nous le lisons dans le Gayan: "Tout ce qui est maintenu par la force se révoltera un jour; le seul pouvoir du mystique, c'est le pouvoir de l'amour". Et il le pratique durant toutes les heures du jour de la façon dont je viens de vous parler.

 

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L'harmonie

 

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